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Le blog de Dawn Girl
17 février 2020

Violence(s) - Partie 2

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Après avoir traité de la violence de mon père dans la première partie, je vais maintenant parler de la violence que j'ai subie à l'école maternelle. Dans la troisième partie, je parlerai du harcèlement scolaire dont j'ai été victime, et la quatrième et dernière partie sera consacrée à la violence de ma mère et aux violences éducatives ordinaires (de loin la partie la plus difficile et la plus longue à écrire...).

Avant de commencer, je tiens à préciser que l'objectif de cette série d'articles n'est nullement de me faire plaindre et /ou de prétendre que j'ai eu une enfance horrible. J'ai conscience qu'il y a des enfants qui sont battus, violés, placés en foyer, qui ne mangent pas à leur faim etc, et qu'à côté de ces enfants-là j'ai eu de la chance. Mais comme je l'expliquais dans la première partie, j'ai eu récemment une réelle prise de conscience ; j'ai réalisé que la violence avait toujours été présente dans ma vie et continuait de m'influencer dans ma vie de maman. C'est pour cette raison que j'ai ressenti le besoin de remonter le fil de l'histoire, afin de réconforter l'enfant en moi (qui a grandi, mais qui est toujours là) (et c'est aussi pour cela que je mets beaucoup de photos de moi petite). Il y a 2 ans, pendant une séance d'hypnose, la thérapeute m'a demandé de me visualiser bébé, avec quelqu'un de bienveillant qui me prenait dans ses bras. Cela a ouvert la première porte vers tout le travail que je suis en train de faire.

1986, j'ai 2 ans et demi. Je vis avec ma mère chez mes grands-parents ; nous occupons le premier étage de la maison. Elle fait des petits boulots pour subvenir à mes besoins. En opposition avec sa propre scolarité qui s'est presque intégralement déroulée dans des écoles privées tenues par des sœurs et par des prêtres, elle a décidé de m'inscrire à l'école publique, histoire que je ne me fasse pas tripoter par le Père Machin comme ce fut le cas pour certaines de ses copines.

Autant le dire tout de suite ; mon école n'avait rien de maternel. J'en garde globalement un très mauvais souvenir, et aujourd'hui, trente ans après l'avoir quittée, je ressens encore un certain malaise quand il m'arrive de passer devant. L'affreux dessin gris sur la façade pourrait être baptisé « Angoisse ». Ce n'était pas une école maternelle. C'était une école de merde.

Je me rappelle très bien de la tête de la directrice, des institutrices et des ATSEM. Je me rappelle même de leurs prénoms. Des vieilles chouettes mauvaises comme des teignes qui, Dieu merci, n'ont plus rien à voir avec les institutrices d'aujourd'hui. Elles n'avaient aucune bienveillance, aucune empathie. Aucune patience. Aucune compétence pour s'occuper d'enfants en bas âge. Une seule personne était gentille dans cette école : Alice. La femme de ménage de l'école, qui, accessoirement, avait également été la nourrice de ma mère. Un rayon de soleil.

Alice. Rien que son prénom respirait la douceur. Elle portait une blouse rose ; je crois que c'est pour cette raison que le prénom Alice m'a toujours évoqué la couleur rose. Elle avait toujours le sourire, et toujours un mot gentil pour nous (j'ai les larmes qui coulent rien qu'à l'écrire, damn). Il me suffisait juste de la voir nettoyer les vitres pour que ma journée soit un peu plus gaie. Elle était juste là, pas loin, et cela me rassurait. Elle a malheureusement pris sa retraite quand j'étais en moyenne section ; j'ai été vraiment triste de ne plus la voir. Je pense qu'il y a un peu d'elle dans le fait que ma fille s'appelle Alice.

Rassembler de manière structurée des souvenirs qui remontent à plus de trente ans est une chose relativement compliquée. Je ne peux qu'évoquer des flashs plus ou moins nets, tels qu'ils me reviennent en mémoire : les deux cours de récréation avec leurs trois bancs pour s'asseoir (un vert, un bleu, un rouge). L'espèce de cage en fer ou certains enfants s'amusaient à se suspendre la tête en bas. Les institutrices qui tapaient dans leurs mains pour nous signifier que la récréation était terminée. Les cheveux blonds et courts de la directrice qui ont fait une magnifique raie au milieu à cause d'une rafale de vent qu'elle s'est prise un jour dans le dos. Son regard méchant et son visage qui ne souriait jamais. La tête de Maure collée à l'arrière de sa voiture. L'index qu'on devait laisser posé sur notre bouche quand on marchait en rang.

La cantine où cela s'est tellement mal passé... Un jour, ils étaient en train de servir des haricots verts ; je me suis sentie très mal et j'ai vomi sur la table. On m'a mise dehors. Cet endroit m'angoissait. Manger m'angoissait. Je suppliais ma mère de ne pas me laisser manger à la cantine. C'était viscéral. Au bout de quelques jours (qui m'ont semblé durer dix ans), j'ai fini par rentrer déjeuner chez moi tous les midis. Plus de cantine. Ouf.

Ce jour où une ATSEM m'a tapé violemment sur la main. Je n'ai pas compris. J'étais juste assise sur mon matelas de sieste. Je ne disais rien, je ne faisais rien, et elle m'a tapé sur la main. Elle passait son temps à m'engueuler parce que je ne dormais pas, mais est ce que j'y pouvais quelque chose si je n'avais pas sommeil ? Je ne faisais pas de bruit, mais il faut croire que cela la dérangeait quand même. Vlam. Une tape cinglante sur la main.

Il y a eu pire : mon institutrice de grande section qui a mis plusieurs baffes à un élève. Des vraies baffes, comme celles que ma mère me donnait. Quand elle le frappait, il rigolait; ce qui me fait penser que hélas, le pauvre garçon devait recevoir des gifles chez lui aussi.

Un autre jour, je me suis arraché le menton en tombant dans la cour. Bien entendu, personne n'est venu m'aider (les maîtresses devaient être occupées à boire leur café je suppose). Je suis entrée seule dans l'école pour chercher de l'aide. Et bien tout ce que j'ai récolté, c'est de me faire littéralement incendier par mon ancienne instit qui était en train de danser avec ses élèves sur « Gugusse avec son violon » (cette chanson me fera toujours penser à ce jour-là). Je n'oublierai jamais son : « BON, ça va durer longtemps ??? » parce que j'étais passée au milieu de ses élèves avec mon menton en sang. Elle m'a dégagée manu militari en hurlant « Allez, du balai ! », sans se soucier de rien, à part de sa chorégraphie de merde.

Inutile de dire que j'ai passé l'après-midi en classe sans que personne ne me soigne le menton. J'avais atrocement mal ; je ressentais un mélange de brûlure et de fourmillements. Le soir, ma grand-mère m'a acheté un Kinder Circus orange avec des petits œufs en chocolat. Par la suite, j'ai toujours associé les Kinder Circus avec mon menton arraché.

Les journées à l'école étaient interminables. Je m'ennuyais et je ne me sentais pas « maternée ». Pourtant j'en avais besoin. Je garde une répulsion absolue pour le pain-compote, le beurre de cacao et les pommes cuites ; le goût et l'odeur me rappellent l'école maternelle. Jamais je n'en remangerai. Je préfère crever de faim que de manger ça.

Je pense que ce genre de situation ne pourrait plus se produire aujourd'hui. Les parents auraient porté plainte, les instits se seraient fait muter à Trifouillis les Oies, la directrice à l'hospice et cela aurait été bien fait pour elles. Je sais qu'à notre époque il y a des parents casse-bonbons qui s'énervent parfois à tort alors que les instits font bien leur boulot, mais dans le cas de mon école maternelle il y avait clairement maltraitance.

Ma mère savait que cela se passait mal. Elle regrette aujourd'hui de m'avoir mise là-bas ; elle se justifie en disant : « C'était l'école la plus proche de chez papy et mamie » ; « J'étais très jeune, je ne me rendais pas compte », etc etc... Je ne lui en veux pas. Elle n'y est pour rien si cette école était pourrie.

Evidemment, tout cela est remonté inconsciemment quand Alice est entrée à l'école maternelle. Tous les enfants angoissent, tous les parents angoissent, mais moi j'ai angoissé deux fois plus. Vingt fois plus. Parce qu'en voyant Alice à l'école maternelle, je me revoyais à l'école maternelle. J'avais peur (et j'ai toujours peur) que l'école maternelle et la garderie lui évoquent des souvenirs d'angoisse quand elle sera plus grande. Je sais que c'est ridicule, mais je n'y peux rien.

Les premiers jours, quand la séparation était un peu compliquée le matin, j'ai raconté à Alice : « J'étais dans une école où les maîtresses étaient méchantes. Cela se passait mal. Mais toi, tu es dans une école où les maîtresses sont gentilles. Tout va bien se passer. Maman dans son école c'est une chose ; toi dans ton école c'est autre chose. Tu n'as pas à gérer les émotions de maman ». Avec le recul je me dis que j'ai peut-être eu tort ; que j'ai peut-être créé une angoisse là où il n'y en avait pas, mais le fait est que Alice aime bien aller à l'école.

Quand je dépose Alice à l'école le matin, je vois sa maîtresse commencer sa journée dans la classe, et je suis bluffée par la différence entre elle et les instits que j'ai connues. Quand un enfant pleure, elle lui parle doucement, elle le prend dans ses bras quand il y a besoin. Elle prend le temps. Elle a un côté autoritaire, mais elle sait être bienveillante quand c'est nécessaire. Et cela fait toute la différence.

A la fin de l'année, je compte lui offrir un dessin pour la remercier (que je ferai faire par une illustratrice étant donné que je ne sais rien dessiner). Je n'ai pas encore réfléchi au contenu exact de ce dessin (j'espère que l'illustratrice me guidera), mais je sais déjà que le mot « merci » y figurera. Ce "merci" contiendra beaucoup d'autres choses, même si elle ne le saura jamais. Merci d'avoir été douce et ferme à la fois. Merci d'avoir été bienveillante. Merci d'avoir pris ma fille dans vos bras quand elle était triste. Merci d'avoir redonné un sens aux mots "école maternelle". Merci de ne pas lui avoir demandé si ça allait durer longtemps. Merci de ne pas lui avoir tapé violemment sur la main. Merci d'avoir pris en compte les émotions des enfants. Merci pour tout.

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15 février 2020

Au fond de l'eau de Paula Hawkins (challenge les Dames en Noir)

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Pour cette première lecture du challenge "Les Dames en Noir" organisé par Zofia, j'ai choisi ce roman de Paula Hawkins car j'avais bien aimé "La fille du train".

Résumé : Le corps de Nel vient d'être retrouvé dans la rivière de Beckford, où elle vivait avec sa fille Lena. Ce n'est pas la première fois qu'une femme meurt dans ce point d'eau surnommé "Le bassin aux noyées" ; Nel enquêtait d'ailleurs sur ces morts, ce qui ne plaisait pas vraiment à certains habitants de Beckford. La veille de sa mort, Nel avait téléphoné à sa soeur, Julia, mais cette dernière a refusé de prendre l'appel. De retour à Beckford, elle se retrouve confrontée à ses souvenirs d'enfance et à sa nièce qu'elle ne connaît pas...

Le récit de Paula Hawkins a une particularité que j'avais déjà remarqué dans "La fille du train" : elle change de narrateur à chaque chapitre. J'ai eu du mal au début car il y a beaucoup de personnages, et j'avais peur de m'y perdre. Mais j'ai à peu près réussi à tout connecter :-)

Les personnages sont plutôt touchants ; pour des raisons personnelles je me suis reconnue dans celui de Julia. L'histoire est bien menée ; certains trouveront peut-être qu'il y a des longueurs mais personnellement je ne me suis pas ennuyée. Toutes les morts du "bassin aux noyées" sont expliquées. Ce roman m'a confortée dans l'idée que Paula Hawkins est un auteur que j'apprécie ; je lirai avec plaisir son prochain livre quand il sortira.

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10 février 2020

Violence(s) - Partie 1

(deux pavés en une semaine à peine ; je suis prolifique en ce moment ^^)

Plus jeune, quand j'entendais parler d' « enfant maltraité », je visualisais un enfant recroquevillé dans un coin, un bras levé pour se protéger des coups. Un enfant subissant régulièrement des châtiments corporels. Un enfant battu. J'étais dans l'erreur ; je n'avais qu'une vision tronquée. La maltraitance a de multiples visages : il y a la violence physique, la violence sexuelle, la violence psychologique. Jamais je ne me serais considérée comme une enfant victime de violence, et pourtant je l'ai été. J'ai été victime de violences. Il a fallu presque 36 ans pour qu'une psychologue me demande, alors que j'étais en larmes, au bord du malaise : « Avez-vous été victime de violences ? », et que je réponde « Oui, de violences verbales ». Là encore, je n'ai dit qu'une partie de la vérité : j'ai été victime de plusieurs types de violence. Au départ j'avais prévu de parler de toutes ces formes de violence dans un même article, mais cela aurait donné un machin très long et assez indigeste. Du coup, je vais consacrer ce premier article à la violence de mon père uniquement ; j'évoquerai le reste plus tard.

Il y a des sujets de conversation que je préfère éviter avec ma mère. Des sujets sensibles, où quoi qu'il arrive, chacune de nous campera sur ses positions, où la discussion sera complètement bloquée et où cela se terminera, de toute façon, très mal. Je n'aborde donc jamais ces sujets, et si fortuitement la discussion dérape dessus, l'une de nous botte en touche pour ne pas que cela parte en vrille. Quelquefois c'est elle, quelquefois c'est moi. De ce fait, j'imagine qu'elle pense la même chose que moi : qu'il vaut mieux éviter d'en parler.

Ces sujets sont, en vrac : mon père et moi ; l'alcoolisme de ma mère ; mon attitude avec elle durant mon enfance et mon adolescence ; mes études. Pas des sujets tabous, mais presque.

Comme vous le savez, mes parents se sont séparés quand j'avais moins de 2 ans. Leur mariage n'a pas été heureux ; la grossesse de ma mère était accidentelle. J'étais un accident. Quand elle a su que j'étais là, elle a voulu me garder mais mon père, lui, ne me voulait pas. D'ailleurs elle m'a raconté récemment que lors de leur nuit de noces, mon père l'a secouée en lui disant « je vais te faire avorter »... On ne peut pas donc dire que mon existence commençait dans le bonheur. La vie à trois n'a pas été idyllique non plus.

Après leur séparation, ma mère et moi sommes allées vivre chez mes grands-parents, où nous sommes restées jusqu'à mes 7 ans. J'ai donc été élevée en partie par ma grand-mère. Je voyais rarement mon père ; je ne comprenais pas où il était. Je ne comprenais pas pourquoi il n'avait pas le droit d'entrer chez mes grands-parents. Je ne comprenais pas pourquoi, les rares fois où il téléphonait, ma grand-mère lui répondait avec une voix d'enterrement et me passait le téléphone avec un enthousiasme digne d'une stalactite. On ne m'avait rien expliqué.

A 2 ans et demi, j'ai été opérée des végétations. Je me souviens de l'odeur horrible dans le masque quand ils m'ont endormie. Je me souviens avoir vu les gens du bloc opératoire devenir dorés pendant que je m'endormais. Je me souviens de mon réveil dans la chambre ; du plafond qui faisait comme une marche. Je me souviens qu'il y avait un néon rectangulaire sur chacune de ces marches. Je me souviens avoir vomi du sang (ce que ma mère a confirmé). Je me souviens qu'une infirmière est venue tout de suite pour pour nettoyer sous ma tête ; qu'elle m'a reposée sur le lit après, et que ça sentait le sang. Je me souviens que je voulais tourner ma tête sur le côté mais que ma mère m'obligeait à rester sur le dos. Pourtant je me sentais mal sur le dos. Mais j'avais 2 ans et demi donc j'obéissais. Je me souviens qu'il y avait une sorte de bouche d'aération sur le mur. Je l'ai regardée en demandant à ma mère : « Il est où papa ? » « Il est au travail », m'a-t-elle répondu. Elle ne savait probablement pas où il était ; elle se disait probablement que la place d'un papa normal est auprès de sa fille qui vient de se faire opérer ; elle se disait probablement que j'avais vraiment un papa de merde, mais elle m'a dit qu'il était au travail parce que j'avais 2 ans et demi. Et moi je savais très bien qu'il n'était pas au travail.

Je me souviens de ma sortie de la clinique. Il faisait nuit. J'avais mal à la gorge comme jamais je n'avais eu mal de ma vie. Il y avait une Barbie posée sur la banquette arrière de la voiture de mes grands-parents. Cadeau post-opératoire. On est rentré et ensuite je ne me souviens plus de rien jusqu'à mes 4 ans.

Un jour, mon père est venu me chercher chez mes grands-parents ; ma mère n'était pas là. On est allé dans le centre ville de Rennes. Il m'a dit : « On va aller acheter un pain au chocolat et boire un jus d'orange ».

Sauf qu'il n'y a jamais eu de pain au chocolat ni de jus d'orange : on a fait la queue dans un bureau de poste bondé, et puis il m'a brusquement ramenée chez mes grands-parents. Je n'ai pas compris. Il ne m'a rien expliqué. Je me suis dit qu'il avait mieux à faire que de passer du temps avec moi. Je me suis assise sur le fauteuil dans le salon de mes grands-parents. David Hallyday chantait en anglais. Je l'ai regardé jouer du piano et j'étais tellement triste.

Un autre jour, mon père m'a emmenée en voiture avec deux amis à lui : une jeune femme qui s'est assise devant, et un type habillé tout en cuir qui s'est assis derrière, à côté de moi. Le type était unijambiste et sentait l'alcool à plein nez. A un moment donné, il s'est collé à moi et m'a demandé de lui faire des bisous sur la joue. J'étais absolument dégoûtée et horrifiée, mais je l'ai fait. J'avais tellement honte. J'avais quoi, 6 ans ? A 6 ans on fait ce qu'on nous demande, surtout quand personne ne nous vient en aide. Je revois mon père. Il regardait dans le rétroviseur son porc de copain unijambiste qui demandait à sa petite fille de 6 ans de lui faire des bisous, et il ne disait RIEN. Il regardait juste dans son putain de rétroviseur de merde. C'est son pote sac à vin qui a arrêté de lui-même ; j'ai ressenti un soulagement mêlé de malaise quand il m'a enfin laissée tranquille.

Je ne sais plus quelle personne m'a dit, quand je lui ai raconté cette anecdote : « Il regardait dans le rétroviseur pour surveiller ». MON CUL. Il aurait dû arrêter la voiture. Il aurait dû dire à son copain d'arrêter. Il aurait dû le foutre dehors. Il aurait dû lui dire « Tu ne touches pas un seul cheveu de ma fille de 6 ans, connard». Il aurait dû lui en coller une. N'importe quel père digne de ce nom aurait réagi ainsi. Mais pas mon père. Il a juste regardé dans son rétroviseur. Je crois que sa passivité m'a encore plus marquée que l'autre dégueulasse alcoolisé qui me réclamait des bisous. Je me suis dit inconsciemment que si un jour j'étais en difficulté, mon père ne me viendrait pas en aide. Message reçu, Maurice.

L'unijambiste s'est suicidé 5 ans plus tard. Mon père était triste. Pas moi.

Ces premières années furent donc marquées par l'absence, ponctuée de quelques rares escapades pas toujours très heureuses. Mon père vivait aux quatre coins de la France, travaillait je ne sais où et vivait avec je ne sais qui. L'entreprise de destruction a commencé bien plus tard, à l'adolescence. Cela a été très progressif, très lent. Je ne peux même pas dire quel a été le premier fait destructeur ; je suis incapable de m'en rappeler. On peut comparer cela à un prédateur qui asphyxie doucement sa proie, ou, plus poétiquement, à un ténia qui envahit lentement un gros intestin. Mon père ne m'a jamais frappée. Jamais. Et il en était fier, d'ailleurs. Le pire, c'est qu'il était sincèrement convaincu de ne pas être violent. Pourtant, il l'était. Une violence inouïe. Une violence insidieuse. Une violence par sous-entendus. Il sous-entendait que j'étais grosse. Il sous-entendait que j'étais moche. Il sous-entendait que j'étais empotée, nulle, incapable de faire quoi que ce soit de bien. Il sous-entendait que j'étais méchante avec lui, lui qui s'était tellement battu pour me voir quand j'étais petite, parce que ma mère et mes grands-parents l'empêchaient de me voir (LOL). Il sous-entendait que j'avais vraiment un comportement impossible ; que ses propos étaient juste de l'humour, que je n'avais vraiment aucune auto-dérision. Que j'étais susceptible. J'y reviendrai plus tard, mais ceci explique certainement qu'aujourd'hui je sorte de mes gonds lorsque ma mère me parle de ma susceptibilité.

Mon père créait un climat d'anxiété permanent. Il me faisait chier avec mes notes à l'école. Il me faisait faire des exercices de maths et me faisait réciter mes leçons alors que je n'arrivais pas à apprendre. Il disait que je ne foutais rien, mais c'est juste que j'étais trop angoissée pour travailler sereinement. J'avais besoin de m'évader, de me sortir de ce climat familial anxiogène. Mon cerveau était déjà trop plein. Mais comment lui expliquer cela ? Je n'avais pas les mots, et lui n'en avait strictement rien à faire de la psychologie et des émotions de son enfant. Tout ce qu'il savait, c'est que j'avais d'énormes capacités (ah bon, je croyais que j'étais nulle??) et que je gaspillais mon intelligence à « ne rien branler ».

Il se moquait beaucoup de moi aussi ; en public de préférence. C'est mieux avec un public, on se sent plus puissant. Le meilleur public pour lui : sa famille. Un auditoire déjà acquis, puisqu'il les endormait depuis des années en leur servant des monologues étayés de mots qui le faisaient passer pour un intellectuel, tels que « en l'occurrence », « dubitatif » ou « théoriquement ». Mon père utilisait cette méthode avec tout le monde : parler, parler, parler pendant 3 heures ; un mot de 4 syllabes de temps en temps pour faire joli, et hop la personne en face était anesthésiée. Cela doit être fascinant à observer quand on n'en est pas la victime. Hélas, j'en étais la victime. Sa famille aussi. Ma mère aussi. Sa nana aussi. Il m'humiliait devant sa mère, son frère, sa sœur, sa belle-soeur. Il m'en mettait plein la tête en me regardant de haut et de côté ; son bout de pain à la main, les yeux légèrement clos. Je me rappelle m'être dit qu'il prenait son pied en faisant cela. Il jouissait. Je me ratatinais sur ma chaise, je me sentais comme une merde, et lui il jouissait.

Inutile de compter sur le soutien des personnes assises à table avec nous : quand il parlait, ils se taisaient tous. Certaines de ces personnes sont aujourd'hui encore sous son emprise. Certaines de ces personnes croient encore aujourd'hui que je suis méchante, que j'ai abandonné mon père parce que j'ai été manipulée par ma mère. Certaines de ces personnes croient REELLEMENT que mon père est une victime. Elles croient sérieusement cela, alors que je porte encore les stigmates de cette violence et que je les garderai toute ma vie, et que j'en pleure encore aujourd'hui en me demandant ce que j'ai fait pour mériter ça, car je n'étais qu'une gamine, merde. Je ne veux jamais revoir ces gens. Jamais.

Quand on a un père comme celui-là, on le surveille comme du lait sur le feu. On s'attend à tout moment à ce que ça dérape. On essaye de serrer les dents quand il est méchant. On est soulagé quand il est gentil. On est soulagé quand il est NORMAL. On sent qu'il y a un malaise dans l'air, mais on ne sait pas pourquoi. On se demande ce qu'on a dit de mal, ce qu'on a fait de mal. Et comme il ne dit rien, on cogite. On se refait le film de la journée, des jours précédents, du dernier appel téléphonique. On cherche inlassablement. Une phrase maladroite peut-être ? C'est vrai, en y réfléchissant, on se rend compte que telle parole a été prononcée d'une manière un peu agressive. Oui, ça doit être ça. On est soulagé d'avoir mis le doigt dessus, mais on culpabilise parce qu'on n'a jamais voulu lui parler de cette manière. Alors on va le voir et on se montre le plus gentil possible. Pour qu'il soit gentil. Bien sûr, on ne parle pas de LA PHRASE malheureuse qui est à l'origine de la colère froide du paternel, mais on lui montre implicitement qu'on a compris, qu'on regrette. Qu'on s'excuse. Et on soupire de soulagement quand il est enfin gentil. Le malaise est passé ; à partir de maintenant on va se montrer irréprochable, jamais un mot plus haut que l'autre. Pas de rebellion. Quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse, il aura raison.

D'une manière générale, on essaye de tout faire pour ne pas déclencher ses foudres. On dit ce qu'il veut qu'on dise, on fait ce qu'il veut qu'on fasse. Et surtout, on ne lui tient pas tête. On veut juste être tranquille, que cela se passe le moins mal possible. La paix.

C'est horrible. C'est une gymnastique permanente ; un jeu d'équilibriste. On se remet sans cesse en question. On sur-analyse le moindre de nos faits et gestes, la moindre de nos paroles. Les moments de répit ne sont en fait que de faux soulagements ; ils grignotent doucement le cerveau et mettent en place les rouages de maladies psychosomatiques plus ou moins graves, au même titre que les moments où la cocotte-minute explose. C'est de la toxicité à l'état pur. Des violences sournoises qui sont d'autant plus terribles qu'elles ne laissent pas de trace visible.

J'étais incapable de répondre à mon père. Je savais que son discours n'était pas normal ; je sentais que quelque chose ne tournait pas rond, mais il me tétanisait. Et le pire de tout, c'est que durant les dernières années, je voyais sa belle-fille (la fille de sa compagne), qui elle, arrivait à lui répondre. Elle lui rabattait son caquet, et il la RESPECTAIT. C'était terrible. Je m'énervais de ne pas y arriver alors qu'elle, elle y arrivait. C'était insupportable d'humiliation. Et surtout, pourquoi moi la gentille, je me faisais traiter comme de la merde alors qu'elle, la grande gueule, elle avait droit à de la considération ? Ce n'était pas logique.

Avec le recul, je me dis que cela avait été facile pour elle de se forger une personnalité et un caractère qui lui permettaient de répondre à mon père, étant donné qu'elle avait grandi avec des parents normaux (bon sa mère était idiote, mais au moins pas de prise de tête, de névrose ou je ne sais quoi. Juste du vide et de la superficialité. Quelquefois ce n'est pas plus mal). Elle n'avait jamais été rabaissée. Et accessoirement, elle n'était pas autiste Asperger non plus. C'est beaucoup plus facile d'ouvrir sa bouche quand on n'est pas lesté par de tels bagages.

Il faut savoir que mon père a des atouts pour lui : il présente bien physiquement et il est drôle. Vraiment drôle quand il veut. J'ai lu des BD qu'il a dessinées quand il avait 14 ans, il avait un réel talent, aussi bien pour le graphisme que pour les gags. Il m'a souvent fait rire. Son physique et son sens de l'humour auraient pu servir à faire du bien aux autres, malheureusement il les a utilisés pour faire du mal. Pour séduire. Pour manipuler. Pour se faire passer pour une victime. Pour détruire sa propre fille. Pour rabaisser plus bas que terre les gens qui l'aimaient. Pour foutre en l'air tout ce qu'il avait commencé à construire : famille, entreprises... Il y avait l'image qu'il donnait en société : quelqu'un de sympa et de marrant. Et puis il y avait sa face sombre, celle d'un homme profondément névrosé qui avait besoin de vampiriser les autres pour exister. Je mets tout cela au passé car j'ai coupé les ponts avec lui depuis presque 17 ans, mais je suppose qu'il a toujours en sa possession quelques marionnettes qu'il manipule selon ses humeurs. Je les plains. Sincèrement je les plains. Et je leur souhaite d'avoir dans leur entourage quelqu'un qui leur ouvre les yeux et leur donne le seul conseil à donner dans une telle situation : fuir.

Je n'ai jamais raconté à ma mère ce qui se passait chez mon père, j'en étais incapable. J'étais sous emprise. J'avais peur de lui. Peur des représailles. C'est sur ce dernier point que le sujet de mon père est tabou avec ma mère : elle refuse d'admettre que j'avais peur de lui. Elle est persuadée que je l'admirais. J'ai eu beau lui dire que c'est faux, archifaux et tout ce qu'on veut, elle n'en démord pas. Elle sait mieux que moi ce que je ressens, et c'est proprement insupportable. Je suis quand même la mieux placée pour analyser mon ressenti, non ? Et bien non. J'ai envie de hurler quand elle commence à évoquer ma soi-disant admiration pour ce monstre. Cela me rappelle quand j'étais petite et que ma grand-mère me disait que je faisais un « caprice » alors que j'étais juste malheureuse et que je n'arrivais pas à le dire. Quand la personne en face refuse d'admettre une émotion que l'on ressent au plus profond de soi, c'est horripilant. Ma mère voit les choses de son point de vue d'ex-femme : oui en effet, il ne lui a jamais versé de pension alimentaire, oui il aurait dû le faire comme n'importe quel père divorcé, mais pour moi c'est juste un élément qui complète le tableau ; un accessoire purement matériel. Je ne dis pas que ce n'est pas grave de ne pas payer de pension alimentaire ; je n'ai jamais dit cela. Simplement, le principal pour moi c'est le côté sentimental, le côté destructeur. En quoi accorder davantage d'importance à cet aspect du bonhomme, fait de moi une fille qui lui donne raison de ne pas avoir subvenu aux besoins matériels de son enfant ? Bref, on n'en sortira jamais, donc j'ai renoncé à la convaincre et je fuis toute discussion qui commence à glisser sur ce terrain.

Elle n'a eu connaissance de tout cela que bien plus tard, et encore je ne lui ai pas tout raconté. D'une part parce que cela n'aurait rien changé, et d'autre part parce que je ne me souviens même pas de tout. Je sais juste que j'ai été maltraitée par mon père. Que j'ai été victime de violences psychologiques. Je sais qu'elle s'en veut de m'avoir envoyée en vacances chez mon père ; qu'elle se dit que si elle ne s'était pas battue pour que je garde contact avec lui, rien de tout cela ne serait arrivé. Mais je pense que cela aurait été pire : quelqu'un qu'on ne connaît pas, on l'idéalise. Je l'aurais imaginé grand, beau, riche, gentil, et là pour le coup je l'aurais admiré alors qu'il n'y avait vraiment pas matière à le faire. Au moins je sais qui il est, et je sais que je n'ai plus de temps à perdre avec lui. Pas d'idéalisation, pas de scénario idyllique ou au contraire dramatique. Pas de pathos. Ce qui est fait est fait. Je n'en veux pas à ma mère ; elle a fait ce qu'elle pensait être le mieux pour moi à ce moment précis.

J'ai coupé les ponts avec mon père en 2003. Ma première décision d'adulte. Une renaissance. Certes j'étais cabossée, abîmée, apeurée ; j'avais d'autres sources d'angoisse (mon père est en partie responsable de mon mal-être, mais il n'est pas le seul. J'y reviendrai), mais j'ai été libérée d'un poids.

Il y a quelques mois, j'ai lu « Au cœur des émotions de l'enfant » d'Isabelle Filliozat. Grâce à ce livre, j'ai commencé le cheminement pour pardonner à mon père. C'est une entreprise très difficile que ce pardon. Comment pardonner quand on sait que non seulement le bourreau ne demandera jamais pardon, mais qu'en plus il n'éprouvera jamais aucun regret pour le mal qu'il a fait ? Pourtant je dois lui pardonner, je dois pardonner à toutes les personnes qui m'ont fait du mal sinon je ne vivrai jamais en paix.

Ma mère serait horrifiée de lire des propos pareils ; elle penserait que chercher à comprendre et à pardonner = dire que tout ce qu'il a fait n'est pas grave. Or ce n'est pas du tout ce que je dis. Ce qu'il m'a fait est grave.

Bref.

Je ne peux pas croire qu'un être humain soit foncièrement méchant. Quelque chose a fait que mon père ne sait pas aimer, qu'il est incapable d'éprouver de l'empathie, de l'amour ou n'importe quel sentiment positif. Etre méchant et rabaisser, c'est la facilité. Montrer ses failles, pleurer et dire qu'on est malheureux, demander pardon, reconnaître ses torts, admettre qu'on a mal agi et qu'on a fait des erreurs, se remettre en question, s'analyser, voilà le vrai courage. Mon père est un lâche. Mais je vais essayer de lui pardonner. Cela me prendra peut-être toute la vie, peut-être que je n'y arriverai que sur mon lit de mort, mais j'y arriverai. Je ne le fais pas pour lui ; je le fais pour moi.

J'aurais juste voulu avoir un père normal. J'aurais juste voulu avoir un papa.

tofo

4 février 2020

The taste of her cherry chapstick

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(la longueur de cet article n'a rien à envier à ceux de l'Averse. Si vous voulez aller pisser, c'est le moment ; après ce sera trop tard ^^)

Cela fait longtemps que cet article me trotte dans la tête. Nous sommes le 4 novembre 2019 ; je commence à le rédiger ce matin mais je ne sais pas quand je le publierai, ni même si je le publierai un jour. D'une part parce que je ne me sens pas prête à le publier, et d'autre part parce que je devrai certainement le retravailler, effacer des phrases voire des paragraphes entiers, en rajouter d'autres, modifier des concordances de temps, reformuler encore et encore, avant d'être satisfaite du résultat. Je ne sais pas à quoi ressemblera cet article quand il sera fini, mais je vois déjà l'Averse me dire : "Je savais que tu l'écrirais un jour !" ;-)

Il y a quelques mois, je vous ai parlé de quelqu'un qui m'obsédait. Quelqu'un qui occupait mes pensées jour et nuit, du matin jusqu'au soir au point d'en souffrir. Je vous ai parlé de cette personne au masculin, mais en réalité j'aurais dû en parler au féminin. Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas pu écrire le bon pronom personnel ; pas envie d'assumer cette fois-ci. Peut-être parce que c'était tellement profond et que ça me faisait tellement mal, que j'ai eu besoin de prendre de la distance en lui mettant des testicules là où il n'y en avait pas. J'étais surtout complètement paumée en fait. Ce n'est pourtant pas la première fois que je suis attirée par une fille ; pour ceux qui s'en souviennent j'avais parlé sur mon blog d'une fille de la fac, il y a fort longtemps (c'était en 2005-2006... Damn j'étais jeune... c'est tellement loin).

Aussi longtemps que je m'en souvienne, j'ai toujours été attirée par des garçons ET par des filles. Un coup une fille, un coup un garçon, de manière alternative. Je sais que certaines personnes s'obligent à sortir avec quelqu'un du sexe opposé pour paraître "normales" (je mets vraiment le mot entre guillemets car je considère évidemment les gays / bi comme des personnes normales ; je pense que vous le savez mais je préfère le préciser). Mais bon bref, moi je ne me suis jamais forcée. Comme tout le monde, j'ai eu des émois à l'adolescence ; je ne plaisais pas aux mecs mais eux me plaisaient. Il y en a eu trois ou quatre, au collège, avec qui j'aurais accepté de sortir sans problème. Il y avait également une fille qui m'attirait en 4ème, mais de manière purement platonique. J'avais été charmée en entendant sa voix de soprano ; elle chantait divinement bien. Enfin bref tout cela restait de l'ordre du fantasme.

Et puis il y a eu cette fille à la fac, donc, en 2005. Comme c'est très vieux, je vais re-développer sur elle car personne ne doit s'en rappeler ici... Flora, 28 ans, Nantaise, chargée de TD (ça fait très CV dit comme ça, mais bon ça vous plante le décor). Elle avait beaucoup de charisme ; elle savait être autoritaire sans faire peur non plus, et elle avait de l'humour à revendre. Conséquence de toutes ces qualités : elle avait une véritable cour de prétendants autour d'elle, notamment un mec de ma classe avec un prénom à la con (Jean-Valentin ou Jean-Lucas je ne sais plus). Cela m'agaçait de le voir tourner autour de Flora comme une mouche. Moi je la regardais sans m'approcher ; j'étais intriguée, attirée. Si elle m'avait fait un signe, juste un signe, c'était où elle voulait et quand elle voulait. J'ai du mal à en être sûre, mais je crois que c'est la première fois qu'une fille m'attirait "complètement", c'est à dire physiquement. Je suis quasiment sûre que j'aurais pu coucher avec elle. Bien évidemment, je n'ai rien montré et je n'en ai parlé à personne, sauf sur mon blog.

Flora nous a fait cours jusqu'en janvier 2006 et puis elle est repartie à Nantes. Elle m'a manqué. Je crois que j'ai fini par l'oublier quand j'ai connu B. (pour rappel j'ai rencontré B. fin 2005 et je suis sortie avec lui en mars 2007).

Tout en rédigeant cet article, je viens de taper le nom de Flora sur Google. Elle vit toujours à Nantes où elle est devenue maître de conférences en droit privé ; elle écrit régulièrement des articles qui sont publiés dans des revues juridiques. Elle a 43 ans maintenant ; je ne sais pas si elle est mariée, si elle a des enfants ; si sa moitié s'appelle Stéphane ou Stéphanie. J'ai retrouvé la vidéo d'une conférence à laquelle elle a participé il y a quatre ans ; la revoir ne m'a rien fait de spécial. Elle a changé physiquement (logique), elle a les cheveux plus longs qu'il y a quatorze ans et elle n'a visiblement toujours pas arrêté la clope. Elle est toujours aussi brillante et concise (bon les juristes sont rarement des ânes), mais elle ne m'attire plus du tout. Par contre, c'est quelqu'un avec qui j'échangerais volontiers autour d'un café.

Comme je disais plus haut, c'est environ à la même époque que B. est entré dans ma vie et a tout emporté comme un tsunami. Je ne vais pas revenir sur les milliers de péripéties qui ont émaillé mon histoire avec lui, vous les connaissez déjà. Il est devenu le père de ma fille et je l'ai tellement aimé que je ne me suis plus posé de question sur mon orientation sexuelle. Flora me semblait loin à présent. J'ai interprété mon coup de coeur pour elle comme le fait que je me cherchais à l'époque, que j'étais perdue parce que je n'avais jamais été aimée par personne. A présent quelqu'un m'aimait de manière réciproque, un homme, donc plus besoin de chercher, je m'étais trouvée. Fin de l'histoire. Par ailleurs, quelqu'un m'a confortée dans ma présumée hétérosexualité : Benjamin (la première fois j'en avais parlé sur mon blog sous le nom de Gladiator). Un mec dont j'ai été folle pendant plusieurs mois. Il ne s'est rien passé avec lui parce qu'il avait des principes, mais il aurait pu me tringler sur la table quand il voulait, et plus si affinités. Cerise sur le gâteau lillois, on avait le même humour et le même goût pour les jeux vidéos. Bref, ce garçon restera pour toujours un acte manqué.

Je me suis remise avec B. en 2013, pour de bon cette fois. On se connaissait déjà intimement depuis 6 ans donc plus de passion comme au début, mais on baisait beaucoup tout de même. On l'a fait à peu près partout : sur la plage, au bord d'un étang, dans la forêt, dans un champ, dans le garage devant l'immeuble... C'était marrant.

Et puis, comme dans n'importe quel couple, la routine s'est installée progressivement. On a eu notre fille, les années ont passé. Nous étions toujours proches physiquement, mais ce n'était plus pareil. Je l'ai un peu délaissé, et je suppose que je me suis sentie délaissée aussi, car j'ai commencé à regarder ailleurs. Et au fil des mois, sans m'en rendre compte, je suis tombée amoureuse de quelqu'un d'autre : Laetitia, donc, celle dont j'ai parlé ici à mots couverts en la masculinisant. Un truc qui était tellement fort que ça me faisait mal, tellement mal que j'en pleurais. Tout me plaisait chez elle : son physique, sa voix, sa gentillesse, son sourire doux, son accent (mon dieu son accent ❤❤❤)...  Une petite douceur qu'on a juste envie de serrer contre soi et de câliner. Problème : cette fille c'est le Graal, elle est totalement inaccessible. D'abord, parce que je la côtoie dans le cadre professionnel. Ensuite, parce qu'elle a un mari et des enfants (son fils a le même handicap que ma fille d'ailleurs, sauf que lui ce sont les deux oreilles). Et pour finir, parce qu'elle est d'un statut social bien supérieur au mien (le pire des obstacles selon moi ; c'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont fait que Benjamin m'a jetée). Je sais qu'elle m'apprécie, mais c'est tout, pas d'attirance de son côté, c'est impossible. A l'époque, cette voie sans issue me rendait dingue, je n'arrivais pas à raisonner mon cerveau. Et puis je culpabilisais vis à vis de B. Lui qui m'aimait, qui aimait sa vie avec moi ; B. pour qui j'avais remué ciel et terre, que j'avais attendu si longtemps ; B. qui avait divorcé pour moi. Comment pouvais-je fantasmer sur quelqu'un d'autre alors que l'homme pour qui j'avais tant souffert pendant des années partageait ma vie officiellement, conformément à ce que j'avais désiré le plus au monde ? A croire que je courais après les situations impossibles et que j'aimais souffrir. Je me détestais d'être comme ça.

J'ai écrit une lettre à Laetitia, un document Word que j'ai supprimé ensuite. Comme cette lettre n'était pas destinée à être lue par sa destinataire, je ne me suis pas censurée, j'y suis allée à fond. J'ai fait courir mes doigts sur le clavier, sans réfléchir, sans me relire. Je ne me suis jamais relue d'ailleurs : j'ai gardé le document Word quelques temps, puis je l'ai jeté dans la corbeille de l'ordinateur et j'ai vidé la corbeille.

Au bout de quelques semaines, ça a arrêté de me faire mal. J'appréciais toujours énormément Laetitia, je la trouvais toujours très jolie, j'éprouvais toujours une frustration en la voyant, mais plus rien de douloureux. Mon cerveau avait fini par accepter que rien n'était possible. Ouf.

Et puis juin ta gueule Rose. Juin 2019. Ma rencontre avec Myriam. Je ne me souviens pas de la première fois où je l'ai vue, mais par contre je me rappelle très bien de la première fois où je l'ai remarquée. Elle s'est levée pour venir me voir, et là je suis restée scotchée sur ses yeux. « Madre de dios, qu'ils sont beaux », me suis-je dit.

Myriam a les yeux verts. Un vert pur, sans aucun reflet marron. Il y a longtemps, j'avais décidé que je n'aimais pas les yeux verts, parce que cela m'évoquait des personnes que j'exécrais : ma tante hystérique a les yeux verts, et SURTOUT, l'ex de B. a les yeux verts. (enfin dans son cas je dirais plutôt qu'ils sont jaune pisse). Bref je claironnais à qui voulait l'entendre que les yeux verts c'était moche, que ça ne servait à rien et qu'il fallait abolir cette couleur d'iris de la surface de la Terre pour le bien-être de l'humanité. Yeux verts, yeux de vipère.

Mais les yeux de Myriam m'ont désarmée. Oubliée ma tante et son regard mauvais. Balayée l'ex de B. avec ses yeux jaune pisse. En un seul instant, les yeux verts ont retrouvé grâce à mes yeux.

Ensuite le temps a passé, et je me suis rendue compte qu'il n'y avait pas que les yeux de Myriam qui me plaisaient ; je m'intéressais à la personne toute entière. Par contre, rien de douloureux comme pour Laetitia, juste une attirance "normale". Elle me plaisait énormément, je pensais très souvent à elle, mais sans obsession. Je retrouvais ce que j'éprouvais quand j'ai connu B. : les papillons dans le ventre, l'envie de la voir, même deux secondes. Le fait de me lisser les cheveux, de me faire manucurer les ongles et de mettre des boucles d'oreilles pour être plus jolie quand je la voyais. Essayer de prendre une jolie voix quand je lui parlais. Changer de manteau parce que je ne voulais plus qu'elle me voie avec ce machin gris difforme que j'avais acheté quand j'étais enceinte. Avoir le coeur au bord des lèvres à chaque fois que mon téléphone vibrait,  puis soupirer en le consultant parce que c'était ENCORE une notif de l'application Rennes 24' pour me dire que le cortège de la manifestation anti-réforme des retraites était rendu sur l'esplanade Charles de Gaulle PUTAIN J'EN AI RIEN A FOUTRE. Désespérer quand elle ne me regardait pas et préférait palabrer avec Madame Trucmuche, parce que du coup je ne pouvais pas lui faire mon super sourire qui tue (bon en fait il ne tue pas tant que ça, mais bon j'ai bientôt 36 ans donc je ne peux plus compter sur ma fraîcheur). J'étais clairement dans une démarche de séduction ; je me retrouvais dans la peau d'une gamine de 16 ans qui ne savait pas comment s'y prendre. A un moment donné, certains regards et allusions m'ont fait penser qu'il y avait peut-être une ouverture avec elle ; ça ne durait jamais longtemps mais c'était très agréable. "Oh, tu travailles là-bas ? C'est marrant, c'est la ville où j'habite". Maaaaais on va chez toi quand tu veux. Et puis le lendemain, on s'apercevait juste de loin et on ne se saluait même pas. Un pas en avant, deux pas en arrière. Dans ces moments-là je passais limite une journée de merde.

C'est ça qui est terrible quand j'ai un gros coup de coeur pour quelqu'un : une entrevue avec lui / elle, aussi courte soit-elle, va devenir mon moteur pour avancer, et va donner le ton pour le reste de la journée. Or, il y a des journées, où tu te dis que tu aurais mieux fait de rester couchée. Ce genre de journée pourrie jusqu'au trognon où toute la loose du monde semble s'abattre sur tes épaules. A un moment donné, j'ai connu tellement de journées de merde que j'étais déprimée. J'avais juste envie de me terrer dans une grotte et de ne plus voir personne, jamais. Seules les discussions sympas que j'avais avec certains patients au boulot m'apportaient un peu de réconfort, et pourtant je n'aime pas mon boulot. Je sais qu'il y a plus grave dans la vie que mes petits soucis, du style se taper un cancer ou avoir les huissiers qui frappent à la porte, mais je n'étais vraiment pas bien. 

Contrairement à Laetitia, Myriam n'est pas une personne inaccessible : elle n'est pas mariée et n'a pas d'enfant (bon cela ne l'empêche pas d'avoir quelqu'un dans sa vie on est bien d'accord, mais je n'ai jamais osé lui poser la question ouvertement, donc à moins qu'elle fasse une allusion explicite du style "ah oui, c'est ce que me disait justement ma femme..." (oui je regarde Columbo) (oui c'est une série des années 70) (vos gueules :D)). Comme je disais plus haut, il y a eu certains signes qui auraient pu me faire penser que... Mais j'ai déjà eu la preuve dans le passé que les signes peuvent être trompeurs ; on voit parfois ce qu'on a envie de voir, on interprète les choses à notre sauce et on met des oeillères pour tout le reste. Donc...

Il y a longtemps, une ancienne copine d'école m'a raconté qu'un jour, elle a carrément mis un mot sous l'essuie-glace du mec qui lui plaisait ; cette stratégie a été payante car ils ont vécu une belle histoire ensemble et ont eu deux enfants. Mais JAMAIS je n'oserai jamais faire ça, ni avec Myriam ni avec qui que ce soit. Je suis plutôt du genre à rester passive et à attendre que ça se passe. Il se trouve qu'en 2006, le hasard m'a donné un énorme coup de pouce avec B. (pour rappel, il est venu bosser à quelques mètres de mon boulot, ce qui a provoqué nos retrouvailles et tout ce qui s'ensuit). Bref je repensais à tout cela, et je me disais naïvement : "si c'est déjà arrivé une fois, pourquoi cela ne se reproduirait-il pas avec Myriam ?"

Mais hélas, il y a eu ce Louis de funeste 13 janvier 2020 (encore une allusion aux années 70. Niééé). Ce jour-là, Laetitia a eu 40 ans. J'ai eu envie de lui envoyer un bouquet de fleurs à son bureau ; je voulais joindre une carte très sobre (et ANONYME surtout), avec juste un "joyeux anniversaire" tout simple. Jamais de la vie je ne lui aurais dit que c'était moi, mais j'ai cru comprendre que son mec n'était pas le roi des romantiques donc cette petite attention lui aurait certainement fait plaisir.

Finalement je me suis abstenue, et au vu de la suite des événements, j'ai rudement bien fait... En effet, quand une journée commence par une catastrophe comme celle qui va suivre, on sait déjà qu'elle va être bien moisie :

Je marchais donc tranquillement, je ne demandais rien à personne, et là, Myriam a déboulé à quelques mètres devant moi. Ca m'a troublée ; je me suis pris les pieds dans une putain de roue en plastique de merde qui traînait là, et je me suis rétamée. Mais alors RETAMEE de tout mon long... Le gadin absolu qui fait disparaître toute ta dignité en une demi-seconde. BAM.

 

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Ce moment divin où ta dignité s'en va. Définitivement.

 

 

J'ai vu le visage de Myriam changer en même temps que je tombais, c'était comme dans un film. J'ai alors obéi à mon premier instinct : j'ai éclaté de rire. Mais un rire vraiment pourri, le rire le plus ridicule que j'ai jamais fait de ma vie. J'ai touché le fond en direct live.

Petite parenthèse : la semaine suivante, j'ai lu « Dolores Claiborne » de Stephen King. Vers la fin du livre, l'héroïne évoque « le rire le plus artificiel qu'[elle] avai[t] jamais entendu sortir d'[elle] », qui faisait « Yar-yar-yar ». Cette phrase m'a rappelé ma gamelle du 13 janvier, et j'ai explosé de rire en m'imaginant faire « Yar-yar-yar » les quatre fers en l'air devant Myriam. J'en ai craché mon thé par le nez. Dommage qu'elle ne m'ait pas vue, elle a loupé un grand moment, vraiment.

Bref.

Myriam m'a demandé si ça allait ; elle a touché ma main à deux reprises quand je me suis relevée (❤❤❤❤) puis elle est repartie rapidement (elle était à la bourre). J'ai gardé le sourire (pouvais-je faire autrement ??), et là, comble de la honte, je suis passée devant sa collègue, qui n'avait pas loupé une seule miette du spectacle et qui me toisait du regard, l'air de dire "ma pauvre j'ai trop pitié de toi"...

PUTAIN.

La dernière fois que je m'étais pris une gamelle pareille, c'était il y a plus de quinze ans en repartant du bureau d'une auto-école. Je m'étais pris les pieds dans le métal d'une chaise et j'étais tombée tranquillou sur la moquette ; je n'ai pas compris ce qui se passait. La directrice de l'auto-école avait  rigolé gentiment : "Il faudra être plus adroite quand vous apprendrez à conduire, hin hin hin !"

Bien évidemment, je n'ai jamais remis les pieds dans cette auto-école, j'avais trop honte. Ce qui n'a pas été une chose négative finalement, puisque c'est dans l'auto-école suivante que j'ai rencontré B.

Bref.

Tout espoir venait donc d'être réduit à néant. Tous mes efforts pour séduire Myriam, pour qu'elle me trouve jolie, apprêtée et avec une bonne élocution... balayés d'un seul coup. Je venais de passer de Catherine Deneuve à Pierre Richard slash Thierry Roland en une fraction de seconde (encore une référence de vieux). Je me suis dit : "Ok meuf, donc là concrètement si tu as jamais eu la moindre minuscule chance avec elle, elle vient de s'envoler avec ta crédibilité, ton amour-propre, ta fierté et tout ce qui s'ensuit. Myriam fait un métier public, comment veux-tu qu'elle s'affiche avec Pouf le Cascadeur ? (référence de 1997, on progresse ^^) Cette chute est un message très clair : le Destin te dit que c'est mort avec elle. Donc au lieu de rêver ta vie, occupe-toi plutôt de sauver ton couple qui est en train de partir à vau-l'eau. Oublie cette fille. Fais du sport, une bonne cure de sommeil avant d'affronter la fin janvier qui va être difficile, et basta. Salut."

Je raconte cette anecdote sur le ton de l'humour, mais tout cela m'a en fait profondément déprimée. Ce jour-là j'ai senti Myriam m'échapper, un peu comme de l'eau qui m'aurait glissé entre les doigts. J'étais fatiguée aussi. Fatiguée de mon quotidien. Fatiguée de me dire que mon mec n'avait peut-être plus envie de moi. Fatiguée de l'ignorance de Myriam alors qu'on avait eu des échanges vraiment sympas avant cette putain de chute à la noix. Fatiguée de fantasmer sur des personnes avec qui il ne se passerait jamais rien. Fatiguée de me poser trop de questions. Fatiguée tout court.

J'ai officiellement renoncé. J'ai définitivement classé cette histoire dans la catégorie « Laetitia » (nouveau substantif inventé par moi-même pour désigner une relation impossible). Tu as affaire à une Laetitia ? C'est foutu, passe à autre chose. Myriam est une Laetitia. On passe à autre chose. 

Renoncer à Myriam n'a cependant pas empêché les interrogations existentielles : je suis quoi en fait, bisexuelle ? Je déteste ce mot, ça fait hermaphrodite. Quand je lis "bisexuel", je visualise un mec avec deux pénis. Je n'ai pas de pénis, mais je me sens obligée de me mettre dans une case parce que notre société aime bien mettre des étiquettes sur les gens. J'ai fait un test sur Internet (ça vaut ce que ça vaut je sais). J'ai obtenu le résultat suivant : "Vous êtes hétérosexuel(le) avec de fortes tendances homosexuelles". Ok, ça me va. Ca veut dire que je ne me suis pas trompée en me mettant en couple avec B. ; que ces treize  dernières années n'ont pas été bâties sur un mensonge. Je crois que c'est ça qui me faisait peur, en fait : j'avais peur de m'être plantée sur toute la ligne, de m'être battue pour quelque chose qui était voué à l'échec dès le départ. D'avoir construit une vie de couple factice ; un mirage. En réalité, j'ai juste évolué. Connais-toi toi-même. Je pense que ça va me prendre mille ans pour me connaître. Me comprendre, déjà, c'est compliqué...

 

Voilà, je vous remercie de votre attention ; prochaine étape : faire un post sur les violences parentales (celles que j'ai subies durant l'enfance et l'adolescence, et celles que j'ai peur de faire subir à ma fille). Dans la mesure où cet article sera plus "analytique" que le gros machin que vous venez de lire, ce n'est pas 3 mois qu'il va me falloir pour le rédiger, mais plutôt 3 ans... Rendez-vous à la maison de retraite ^^

 

1 février 2020

Challenge "Les Dames en noir"

dames en noir

 

 

Cette année je participe à ce challenge organisé par Zofia ; le principe est très simple lire des romans policiers au sens large (thriller, polar...) écrits par des femmes. Comme ma vie personnelle et professionnelle ne me laisse pas le temps de lire beaucoup, (et que j'ai déjà une PAL à écouler ^^), je me suis inscrite dans la première catégorie, à savoir le niveau 1 (lire de 1 à 6 livres). Peut-être que je rajouterai un des challenges proposés en plus.

Je ferai un article à chaque livre lu ; j'ai jusqu'au 9 janvier 2021 donc ça me laisse du temps :-)

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