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Le blog de Dawn Girl
15 avril 2021

Olga

En 1999, j'ai quitté le collège pour intégrer le lycée, en l'occurrence le Lycée Émile Zola à Rennes :

 

lycee

Ce lycée est très ancien (le premier bâtiment a été construit au Moyen-Age). Chateaubriand a été élève là-bas. La salle des fêtes du lycée a servi de tribunal militaire lors du procès en révision de l'affaire Dreyfus. On peut donc dire que ce lycée est « chargé d'histoire » (qu'est ce que j'ai pu entendre cette phrase quand j'étais élève là-bas ^^). J'imagine que pour un professeur, obtenir un poste titulaire dans ce lycée doit être une source de grande fierté. J'imagine que dans les dîners en ville, ça fait classe de dire : « je travaille au lycée Emile Zola de Rennes ». J'ignore si c'est pour cette raison, mais certaines personnes qui travaillent à Zola se la racontent grave. Certaines personnes qui travaillent à Zola pètent plus haut que leur cul. J'en ai personnellement connu deux : la CPE (une affreuse bonne femme gominée qui mériterait un article à elle toute seule), et Olga.

Olga était mon professeur de français en classe de seconde, et également ma prof principale. Pour vous la décrire physiquement, elle était petite, mince, avec des cheveux gris et courts et des lunettes en cul de bouteille. Elle avait toujours un petit foulard noué autour du cou façon carré Hermès (les apparences avaient de l'importance, on était au Lycée-Emile-Zola-chargé-d'histoire quand même).

Le jour de la rentrée, elle a fait un truc que je n'ai pas aimé : elle a écrit « Bienvenue » au tableau. Je ne sais pas si vous vous en rappelez, mais il y a longtemps, j'ai expliqué ici qu'à cause de mon syndrome d'Asperger je déteste certains mots : certaines sonorités m'évoquent un truc moche ou puant (si vous avez 5 minutes à perdre, tapez « synesthésie » sur Google). Et bien le mot « bienvenue » fait partie des mots qui puent. Je déteste ce mot. Je ne le dis jamais. Beurk.

Bref, Olga a marqué un mauvais point en nous souhaitant la bienvenue-beurk, mais bon ça c'est mes névroses, on aurait pu en rester là ^^.

Plus tard dans la matinée, tous les professeurs ont défilé dans la classe pour se présenter. Tandis qu'ils parlaient, Olga inscrivait leurs noms au tableau. Deux d'entre elles n'étant pas mariées, elle s'est fait un plaisir d'écrire MADEMOISELLE Dupont et MADEMOISELLE Martin quand elles ont pris la parole. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai senti une certaine jouissance chez elle quand elle a écrit le mot « Mademoiselle » : elle s'appliquait davantage que pour écrire « Madame ». Je l'imaginais en train de glousser intérieurement parce que sa collègue était trop moche pour trouver un mari, voyez.

Avec le recul j'ai trouvé une expression qui lui allait comme un gant : elle minaudait. Il y avait trop de sourires, trop de douceur. C'était du toc. Et comme je suis attachée aux petits détails, j'ai très vite remarqué ce petit quelque chose qui me dérangeait chez elle. Je la revois encore, debout devant la porte du CDI, en train de nous dire de sa voix onctueuse : « Les sinisants, je vous laisse rejoindre votre classe ! »

Les sinisants. En entendant ce mot, tout le monde s'est exclamé en chœur «Les quoi ?? ». Olga, ravie de son petit effet (elle devait faire la même blagounette à chaque rentrée j'imagine), nous a fait son plus beau sourire dentu : « Les sinisants, ce sont les élèves qui font du chinois ! Voilà je vous ai appris un nouveau mot bande d'abrutis ! Et pour le portugais, on dit lusophone ! »

J'ai failli lui demander si elle connaissait aussi le mot pour qualifier les gens qui racontaient de la merde, mais comme je ne voulais pas débuter mes années lycée en me faisant virer, je me suis mordu l'intérieur des joues et j'ai fermé ma bouche.

Les choses se sont très vite dégradées entre Olga et moi, dès le premier devoir maison : la consigne de ce devoir était la suivante : « Vous êtes avocat et vous devez défendre une cause».

Un devoir d'argumentation. Ma bête noire. Ma hantise en classe de troisième. Pendant des années, j'ai été la meilleure élève de ma classe en français : je m'éclatais en dictée et en rédaction ; mes professeurs louaient mon excellente orthographe et mon talent d'écriture. Mais durant le dernier trimestre de troisième, tout a basculé : on est passé aux devoirs d'argumentation et mon cours préféré s'est transformé en cauchemar. Je n'étais pas douée pour l'argumentation, je ne voulais pas argumenter. Je voulais continuer à inventer des histoires. Du coup, ma moyenne en français a chuté et je l'ai vécu comme un déchirement intérieur. Je pensais donc repartir sur de bonnes bases pour cette année de seconde, mais non ; on m'imposait encore une argumentation, et qui plus est avec une prof détestable. J'étais mal, très mal. J'étais perdue. J'étais en colère. Je voulais retourner en 6ème. Je voulais retourner à l'époque où j'étais la meilleure en français.

Bien entendu j'ai rendu un mauvais devoir : j'ai eu 9/20 (note que je méritais et que je n'ai jamais contestée). Les appréciations d'Olga sur ce devoir comportaient deux paragraphes ; le premier paragraphe était écrit en rouge :« votre devoir n'est pas rationnel, ce qui fait de vous un bien mauvais avocat. Il vous faut structurer vos propos et raisonner avec rigueur»,etc etc... Ces remarques m'ont vexée, mais elle avait raison : mon devoir était mauvais parce que je ne voyais pas les cours de français comme ça et que j'étais butée (j'avais 15 ans en même temps, hein).

Ce qui m'a choquée en revanche, c'est la deuxième partie de ses remarques, écrite à l'encre bleue cette fois (du genre « maintenant nous allons parler de choses plus délicates, alors j'écris en bleu pour te montrer que je suis gentille ») :

« Il me semble, aussi, que vous avez du mal à vous intégrer en classe (à l'école ?). Il serait donc peut-être pertinent, aussi, d'en discuter ensemble ».

J'ai levé les yeux de ma feuille en me demandant si je rêvais, puis j'ai regardé les copies de mes camarades de classe. Aucun d'entre eux n'avait d'appréciation en bleu. J'étais la seule. La seule qui avait droit à des remarques personnelles sur un devoir de français. La seule à être jugée au bout d'une semaine de cours. Pour rappel, nous étions en 1999, donc en plein dans la période où mon père m'humiliait tandis que ma mère s'alcoolisait ; je venais de quitter le collège où je me faisais traiter de « grosse truie » et de « Marguerite ». J'étais fragile, et qui plus est, j'étais adolescente. Et là, cette femme se permettait de me coller une étiquette au bout de si peu de temps ? Où était-elle allée chercher que j'avais du mal à m'intégrer ? Je ne comprenais rien à ce qui se passait. Je me sentais attaquée, mise à nu. Je suis restée sidérée devant ma copie.

Elle est venue me voir. Je ne sais plus ce qu'elle m'a dit, un truc du style « si vous voulez en parler... » Mais NON en fait, je ne voulais pas en parler, et surtout pas avec elle. A partir de ce jour-là, je me suis braquée contre elle. Tout m'énervait chez elle : ses mimiques, son filet de bave aux commissures des lèvres (beurk), ses chouchous dont elle citait sans cesse les devoirs alors qu'à mes yeux ils n'écrivaient rien d'exceptionnel, sa façon d'écrire « Marsupialement vôtre » sur le tableau lors du concours Kangourou de maths ; ses « nonobstant » qu'elle nous servait à toutes les sauces... bref elle m'insupportait. Et en toute logique, je n'aimais pas son cours. De toute manière j'étais sûre qu'elle allait me saquer, étant donné que je ne l'aimais pas et qu'elle me le rendait bien. Je reconnais volontiers que je n'avais pas un comportement exemplaire en classe : je bavardais. Je méritais donc qu'elle me reprenne pour mes bavardages, mais le problème c'est qu'elle le faisait toujours avec son index dans la bouche, le regard en biais et ce petit truc que je n'arrive pas à décrire avec des mots. Je sentais qu'elle me haïssait, et moi je la haïssais aussi. J'avais envie de lui péter la gueule.

Elle a pris sa revanche lors du conseil de classe du deuxième trimestre : elle m'a démolie. Et là pour le coup je me souviens mot pour mot de ses propos, recopiés par la déléguée sur le compte-rendu du conseil de classe : « Bloc d'hostilité quasi-permanent. Ne fait rien. Première L peu envisageable ».

J'imaginais sa jouissance en dictant ses propos de merde à la déléguée, ses petits yeux brillant derrière ses lunettes, en train de se frotter les mains et de se dire : «Tiens, prends ça dans ta face petite péronnelle. Tu veux aller en littéraire ? Bah moi j'ai le pouvoir de te dire que t'iras pas. Voilà. ».

Évidemment, je me suis effondrée en lisant ça. J'étais une littéraire, je le savais depuis le CP. J'étais certainement l'élève de la classe qui aimait le plus la langue française, et elle, elle m'interdisait d'aller en 1ère L ? C'était impossible. Si je n'allais pas en 1ère L, je n'allais nulle part. J'étais foutue. Et puis ces mots assassins transpiraient tellement le petit pouvoir de l'enseignante agitant son bras armé ; c'en était écœurant. Le « bloc d'hostilité quasi-permanent », c'était peut-être l'attitude que j'avais en cours de français, mais pas en cours de chinois. Pas en cours d'italien. Pas en cours de sciences physiques. C'était juste dans son cours à elle que j'étais comme ça, mais visiblement il n'y avait qu'une seule matière qui comptait...

Le pire, c'est que durant ce procès d'intention conseil de classe, une seule personne m'a défendue : ma prof de maths. Oui, de maths. La matière où j'étais absolument nulle (mais ça, personne n'y pouvait rien). C'est ma prof de maths qui a ouvert sa bouche en disant que j'étais gentille, alors que la prof qui enseignait ma matière préférée a pris son pied en m'écrasant la tête dans le caniveau. Quand j'y repense, c'était ubuesque.

Quand les réunions parents-profs sont arrivées, Olga a écrit une lettre à ma mère, en me précisant que j'avais le droit de la lire (je crois même qu'elle m'a demandé de lui dire ce que j'en pensais ( !!!)). Je me souviens de deux phrases : « Il n'y a pas de problème majeur avec Dawn Girl» (souligné exactement comme ça), et « elle refuse d'écouter les conseils qu'on lui donne ». Après les paroles assassines du conseil de classe, j'ai été surprise par tant de modération dans ses propos.

Comme je l'ai déjà dit plus haut (et comme vous le savez déjà), à l'époque ma mère était alcoolique depuis plusieurs années. Nos relations étaient pourries. Pourries par l'alcool, pourries par les non-dits, pourries par l'adolescence. Malgré ça, je pense que si c'était elle qui était allée voir Olga comme c'était prévu au départ, les choses se seraient passées différemment. Ma mère n'aime pas les gens mielleux. Elle n'aime pas les gens qui enrobent leur discours avec des circonvolutions. Elle n'aurait donc pas aimé Olga. Elle aurait vu que je n'avais pas tous les torts. Elle m'aurait soutenue.

Malheureusement, à l'époque ma mère et moi étions encore sous l'emprise de mon père, le monsieur je-sais-tout qui voulait tout régler tout seul. C'est donc lui qui a pris les choses en main. Il a téléphoné à Olga (chez elle sur son fixe, tranquillou), puis il est allé la voir au lycée. Je ne sais pas quelles horreurs ils ont échangées à mon sujet, mais quand il est revenu chez ma mère après cette entrevue, il m'a fait cette magnifique entrée en matière (le bonjour, j'ai pu m'asseoir dessus) :

 « Ça t'intéresse, les cours de français ? »

 Aussitôt cette phrase prononcée, tous mes espoirs de soutien parental se sont effondrés. En une fraction de seconde, j'ai vu défiler en accéléré tout ce qui allait suivre : comme d'habitude mon père allait monologuer pendant une heure, et comme d'habitude j'allais m'en prendre plein la gueule. Et c'est exactement ce qui s'est passé. Très rapidement je me suis mise à pleurer, et très rapidement mon père s'est mis à jouir. C'est ce qu'il cherchait de toute façon : chaque pleur asseyait son pouvoir sur moi. Ma mère, faible, ne m'a pas défendue. J'étais seule, comme d'habitude. Putain de seule.

A la fin il m'a tendu un mouchoir, l'air de dire « allez, sans rancune, hein ! ». Je crois même qu'il m'a pincé le bout du nez (il faisait souvent ça après m'avoir fait pleurer, en disant « pouêt ! », comme un gentil papa qui console sa fille).

Quelques jours plus tard, nous sommes retournés voir Olga ensemble. J'étais tellement stressée que je comptais les heures avant ma mort, et que j'ai dit à mes copines que je leur léguais mes affaires (ma Game Boy pour Sophie, mon lit pour Marina, mon ordinateur pour Karine). Elles ont pris ça sur le ton de l'humour, mais moi j'étais très sérieuse. Au final, durant cet entretien mon père et Olga ont surtout parlé entre eux ; ils ont fait leur petite sauce tous les deux en faisant comme si je n'étais pas là. J'ai juste eu droit à deux-trois phrases d'Olga que j'ai oubliées. J'ai pleuré. J'étais incapable de parler de toute façon, je n'avais que 16 ans.

Par la suite, j'ai essayé de faire des efforts. Je voulais aller en 1ère L, alors j'ai arrêté d'être insolente. J'ai travaillé un peu plus. J'ai participé en classe. Pour autant, cela n'a pas effacé tout ce qui s'était passé précédemment. Quand je levais la main et que Olga me donnait la parole, elle n'avait pas le même air qu'avec les autres élèves ; elle marquait toujours un petit temps d'arrêt avant de prononcer mon prénom. Je voyais dans ses yeux qu'elle faisait un effort, et que cet effort lui coûtait cher. Ce petit truc méprisant était toujours là. Il a été là jusqu'au bout.

Je suis passée en 1ère L. J'ai eu un nouveau prof de français. Un prof normal. Un prof qui m'a prise comme j'étais et qui n'a pas cherché à analyser le pourquoi du comment. Je me suis sentie acceptée. J'ai été soulagée. Il ne l'a jamais su, mais il m'a (un tout petit peu) redonné confiance en moi, sans rien faire de particulier pourtant.

Un matin, j'ai croisé Olga dans un couloir du lycée. Comme je suis polie, je lui ai dit bonjour. Elle aurait juste pu me répondre « bonjour » et en rester là, mais non, Olga a toujours besoin d'en faire des tonnes. Alors au lieu d'une simple réponse, elle s'est embarquée dans un laïus interminable que je n'ai pas écouté, mais dans lequel une phrase m'a cependant scotchée: « Je ne vous aurais pas saluée ».

Euh, what ?? Je lui dis bonjour et elle me réplique qu'elle m'aurait ignorée ? Je me suis empressée de raconter cette anecdote à mon père, histoire qu'il reconnaisse enfin que le problème ne venait pas de moi. Mais il m'a simplement répondu : « Elle était soupe au lait quand même ». Était-ce une manière d'admettre que finalement, sa super copine Olga n'était pas si parfaite que ça ? Que même si j'étais une pauvre adolescente qui ne connaissait rien à la vie et qu'à ce titre j'avais juste le droit de fermer ma gueule, j'avais quand même un tout petit peu raison quand je disais qu'il y avait un souci ? Je ne le saurai jamais. De toute façon mon père préférerait crever plutôt que d'admettre que j'avais raison.

J'ai eu mon bac L. Sans mention, mais je l'ai eu quand même. Plusieurs copines m'ont dit : « envoie une photocopie de ton bac à Olga, puisqu'elle disait que tu étais incapable d'aller en littéraire ». J'ai eu envie de le faire, mais je ne l'ai pas fait. En revanche, je lui ai écrit une lettre en 2016. Une lettre assez courte, très polie, où je lui ai ressorti ses propos (le « bloc d'hostilité quasi-permanent » et le « je ne vous aurais pas saluée »), en disant que c'était vraiment de la méchanceté gratuite. Qu'elle m'avait prise en grippe dès que j'avais franchi le seuil de sa classe, et que je n'avais jamais compris pourquoi. Que mon prof de français de 1ère n'avait rien fait de spécial avec moi ; qu'il m'avait juste traitée normalement et que ça me convenait parfaitement. Qu'elle était passée à côté de moi. Que dans sa brillante carrière de professeur au Lycée-Émile-Zola-chargé-d’histoire, j'avais été un échec. SON échec. Et que j'étais fière d'être son échec. Que quand on enseigne à des adolescents, on doit faire attention à ce qu'on dit. Et j'ai conclu en lui disant je ne lui en voulais pas et que je lui souhaitais une heureuse retraite (elle était déjà en retraite à l'époque). J'ai signé « Dawn Girl Bidule, Seconde 1, année scolaire 1999-2000).

Si j'avais espéré un peu de gentillesse voire de regrets de sa part, j'aurais mis mon adresse au dos pour qu'elle puisse me répondre. Mais je savais très bien que je me fourvoyais en attendant un tel geste. Je savais très bien qu'elle ne s'excuserait jamais. Je savais très bien que si elle me répondait, elle m'écrirait des tartines sans se remettre en question une seule seconde, tout comme dans le laïus qu'elle m'avait sorti le jour où j'avais eu le culot de lui dire bonjour. Je n'ai donc pas mis d'adresse au dos. Je l'ai laissée se souvenir de moi et méditer là-dessus.

Elle ne savait pas que mon père me maltraitait. Elle ne savait pas que ma mère était alcoolique. Elle ne savait pas que j'avais un syndrome d'Asperger non diagnostiqué. Elle ne savait donc pas que tous ces éléments auraient pu expliquer mon attitude au lycée. Mais l'adulte, c'était elle, et elle aurait donc dû agir en tant que telle. Elle aurait dû essayer de chercher plus loin, ou alors carrément laisser tomber, mais pas me démolir juste parce qu'elle n'arrivait pas à me cerner.

Aujourd'hui, Olga est toujours très investie dans l'association du Lycée-Émile-Zola-chargé-d’histoire. Elle contribue à la sauvegarde de la mémoire du lycée, et elle y donne régulièrement des conférences sur la langue française (c'est d'ailleurs son mari qui crée les affiches). Ces conférences étant ouvertes au public, il m'arrive parfois d'avoir envie d'aller la voir. Mais je pars du principe qu'il ne faut jamais revenir vers les gens qui nous ont fait du mal. Alors je la laisse dans le passé, et je préfère regarder devant moi.

 

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1 avril 2021

Mes petites victoires personnelles

Lors de mon premier rendez-vous chez le psychiatre, ce dernier m'a demandé quelles étaient les différentes situations qui me posaient problème dans ma vie quotidienne. J'ai déjà eu l'occasion d'en parler ici ; j'ai d'une part des difficultés "physiques" (hypersensibilité sensorielle et manque de dextérité), et d'autre part des difficultés sociales (de loin les plus handicapantes).

Concernant la dextérité, j'ai récemment connu une petite victoire personnelle. Bon ce n'est pas grand chose, mais pour moi c'est un grand pas en avant : j'ai réussi à faire des constructions en Kapla. En effet, lors du confinement strict il y a un an j'avais acheté une boîte pour occuper Alice, et j'avais essayé de construire les modèles montrés sur le couvercle. Mais avec ma dyspraxie de merde j'avais vite perdu patience et tout envoyé valser au bout de 5 minutes (la pauvre Alice, je crois que je lui ai fait peur ce jour-là ^^).

Et puis finalement, j'y suis revenue le mois dernier. Un jour où Alice était à l'école, j'ai pris des tutos sur Youtube et j'ai commencé par faire des trucs très simples (cabanon, train...) . Puis j'ai progressé et j'ai fini par réussir à faire les trois modèles de la boîte d'Alice que j'avais vainement tentés quelques mois auparavant. J'étais vachement fière de moi :-) Certes j'ai le niveau CE1 et je suis loin de la Tour Eiffel ou du Colisée, mais je m'en fous c'est une victoire à mon échelle. Voici mon araignée :

 

spider

Dans la catégorie petite victoire manuelle, je peux aussi citer le fait d'avoir fait des samoussas en pliant moi-même des feuilles de brick (c'est super facile une fois qu'on a pris le coup). Une telle chose aurait été complètement inenvisageable pour moi il y a quelques mois / années.

Concernant le côté social, j'ai confié au psychiatre que LA situation qui me posait vraiment problème en ce moment, c'était d'amener Alice à l'école le matin et d'aller la chercher le soir. Là aussi c'est quelque chose de tout à fait banal pour n'importe quel parent lambda, mais pour moi c'est une violence quotidienne que je me fais chaque jour. Je déteste amener Alice à l'école, je déteste aller la chercher ; je déteste voir les autres parents d'élèves. J'ai l'impression d'être jugée en permanence.

Le jour de la première rentrée d'Alice en petite section, je me souviens avoir vu des parents d'élèves se faire la bise dans la cour. Depuis 1 an et demi, j'en vois chaque jour qui se saluent de loin et/ou se demandent mutuellement des nouvelles du taff ou de l'avancement des travaux de leur maison. Un jour, j'ai même carrément vu une maman dire à une autre : "Tiens, ton courrier a atterri dans ma boîte aux lettres !" Et du coup j'ai compris : la majorité des familles habitent dans les mêmes lotissements ; certaines mamans sont assistantes maternelles et ont gardé les enfants des autres, etc... Moi j'habite à l'entrée du bourg, totalement à l'opposé des lotissements ; il n'y a pas d'autre enfant près de chez moi donc forcément, je ne prends pas part à tout cela. C'est super ambivalent car d'un côté je me sens "exclue" (le mot est un peu exagéré mais je n'en trouve pas d'autre), et d'un autre côté j'apprécie ma tranquillité. Je n'ai jamais connu cette proximité quand j'étais petite, car j'étais scolarisée dans une grande ville donc les gens étaient anonymes. Ma mère m'a dit : "Ca, c'est l'inconvénient des villages : tout le monde se connaît. Mais ne t'inquiète pas, les gens qui savent tout de la vie de leurs voisins, c'est lourd et ça fait des histoires. Ne te fie pas aux apparences, ils ont l'air super potes mais ils doivent se critiquer par derrière quand ils referment la porte de leur pavillon". Cela m'a un peu rassurée ; je pense qu'elle a raison.

En revanche, je refuse qu'Alice soit exclue des activités des enfants de sa classe à cause de mon autisme. J'ai donc mis un point d'honneur à inviter ses copains à la maison pour son anniversaire, ce qui représentait un véritable Everest social pour moi. J'ai stressé comme jamais mais tout s'est bien passé ; si vous voulez le détail de la fête d'anniversaire vous pouvez aller voir par ici :-)

(mais n'empêche que je serai toujours la sauvage parmi les parents d'élèves et quelque part je ne le vis pas très bien).

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