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Le blog de Dawn Girl
10 février 2020

Violence(s) - Partie 1

(deux pavés en une semaine à peine ; je suis prolifique en ce moment ^^)

Plus jeune, quand j'entendais parler d' « enfant maltraité », je visualisais un enfant recroquevillé dans un coin, un bras levé pour se protéger des coups. Un enfant subissant régulièrement des châtiments corporels. Un enfant battu. J'étais dans l'erreur ; je n'avais qu'une vision tronquée. La maltraitance a de multiples visages : il y a la violence physique, la violence sexuelle, la violence psychologique. Jamais je ne me serais considérée comme une enfant victime de violence, et pourtant je l'ai été. J'ai été victime de violences. Il a fallu presque 36 ans pour qu'une psychologue me demande, alors que j'étais en larmes, au bord du malaise : « Avez-vous été victime de violences ? », et que je réponde « Oui, de violences verbales ». Là encore, je n'ai dit qu'une partie de la vérité : j'ai été victime de plusieurs types de violence. Au départ j'avais prévu de parler de toutes ces formes de violence dans un même article, mais cela aurait donné un machin très long et assez indigeste. Du coup, je vais consacrer ce premier article à la violence de mon père uniquement ; j'évoquerai le reste plus tard.

Il y a des sujets de conversation que je préfère éviter avec ma mère. Des sujets sensibles, où quoi qu'il arrive, chacune de nous campera sur ses positions, où la discussion sera complètement bloquée et où cela se terminera, de toute façon, très mal. Je n'aborde donc jamais ces sujets, et si fortuitement la discussion dérape dessus, l'une de nous botte en touche pour ne pas que cela parte en vrille. Quelquefois c'est elle, quelquefois c'est moi. De ce fait, j'imagine qu'elle pense la même chose que moi : qu'il vaut mieux éviter d'en parler.

Ces sujets sont, en vrac : mon père et moi ; l'alcoolisme de ma mère ; mon attitude avec elle durant mon enfance et mon adolescence ; mes études. Pas des sujets tabous, mais presque.

Comme vous le savez, mes parents se sont séparés quand j'avais moins de 2 ans. Leur mariage n'a pas été heureux ; la grossesse de ma mère était accidentelle. J'étais un accident. Quand elle a su que j'étais là, elle a voulu me garder mais mon père, lui, ne me voulait pas. D'ailleurs elle m'a raconté récemment que lors de leur nuit de noces, mon père l'a secouée en lui disant « je vais te faire avorter »... On ne peut pas donc dire que mon existence commençait dans le bonheur. La vie à trois n'a pas été idyllique non plus.

Après leur séparation, ma mère et moi sommes allées vivre chez mes grands-parents, où nous sommes restées jusqu'à mes 7 ans. J'ai donc été élevée en partie par ma grand-mère. Je voyais rarement mon père ; je ne comprenais pas où il était. Je ne comprenais pas pourquoi il n'avait pas le droit d'entrer chez mes grands-parents. Je ne comprenais pas pourquoi, les rares fois où il téléphonait, ma grand-mère lui répondait avec une voix d'enterrement et me passait le téléphone avec un enthousiasme digne d'une stalactite. On ne m'avait rien expliqué.

A 2 ans et demi, j'ai été opérée des végétations. Je me souviens de l'odeur horrible dans le masque quand ils m'ont endormie. Je me souviens avoir vu les gens du bloc opératoire devenir dorés pendant que je m'endormais. Je me souviens de mon réveil dans la chambre ; du plafond qui faisait comme une marche. Je me souviens qu'il y avait un néon rectangulaire sur chacune de ces marches. Je me souviens avoir vomi du sang (ce que ma mère a confirmé). Je me souviens qu'une infirmière est venue tout de suite pour pour nettoyer sous ma tête ; qu'elle m'a reposée sur le lit après, et que ça sentait le sang. Je me souviens que je voulais tourner ma tête sur le côté mais que ma mère m'obligeait à rester sur le dos. Pourtant je me sentais mal sur le dos. Mais j'avais 2 ans et demi donc j'obéissais. Je me souviens qu'il y avait une sorte de bouche d'aération sur le mur. Je l'ai regardée en demandant à ma mère : « Il est où papa ? » « Il est au travail », m'a-t-elle répondu. Elle ne savait probablement pas où il était ; elle se disait probablement que la place d'un papa normal est auprès de sa fille qui vient de se faire opérer ; elle se disait probablement que j'avais vraiment un papa de merde, mais elle m'a dit qu'il était au travail parce que j'avais 2 ans et demi. Et moi je savais très bien qu'il n'était pas au travail.

Je me souviens de ma sortie de la clinique. Il faisait nuit. J'avais mal à la gorge comme jamais je n'avais eu mal de ma vie. Il y avait une Barbie posée sur la banquette arrière de la voiture de mes grands-parents. Cadeau post-opératoire. On est rentré et ensuite je ne me souviens plus de rien jusqu'à mes 4 ans.

Un jour, mon père est venu me chercher chez mes grands-parents ; ma mère n'était pas là. On est allé dans le centre ville de Rennes. Il m'a dit : « On va aller acheter un pain au chocolat et boire un jus d'orange ».

Sauf qu'il n'y a jamais eu de pain au chocolat ni de jus d'orange : on a fait la queue dans un bureau de poste bondé, et puis il m'a brusquement ramenée chez mes grands-parents. Je n'ai pas compris. Il ne m'a rien expliqué. Je me suis dit qu'il avait mieux à faire que de passer du temps avec moi. Je me suis assise sur le fauteuil dans le salon de mes grands-parents. David Hallyday chantait en anglais. Je l'ai regardé jouer du piano et j'étais tellement triste.

Un autre jour, mon père m'a emmenée en voiture avec deux amis à lui : une jeune femme qui s'est assise devant, et un type habillé tout en cuir qui s'est assis derrière, à côté de moi. Le type était unijambiste et sentait l'alcool à plein nez. A un moment donné, il s'est collé à moi et m'a demandé de lui faire des bisous sur la joue. J'étais absolument dégoûtée et horrifiée, mais je l'ai fait. J'avais tellement honte. J'avais quoi, 6 ans ? A 6 ans on fait ce qu'on nous demande, surtout quand personne ne nous vient en aide. Je revois mon père. Il regardait dans le rétroviseur son porc de copain unijambiste qui demandait à sa petite fille de 6 ans de lui faire des bisous, et il ne disait RIEN. Il regardait juste dans son putain de rétroviseur de merde. C'est son pote sac à vin qui a arrêté de lui-même ; j'ai ressenti un soulagement mêlé de malaise quand il m'a enfin laissée tranquille.

Je ne sais plus quelle personne m'a dit, quand je lui ai raconté cette anecdote : « Il regardait dans le rétroviseur pour surveiller ». MON CUL. Il aurait dû arrêter la voiture. Il aurait dû dire à son copain d'arrêter. Il aurait dû le foutre dehors. Il aurait dû lui dire « Tu ne touches pas un seul cheveu de ma fille de 6 ans, connard». Il aurait dû lui en coller une. N'importe quel père digne de ce nom aurait réagi ainsi. Mais pas mon père. Il a juste regardé dans son rétroviseur. Je crois que sa passivité m'a encore plus marquée que l'autre dégueulasse alcoolisé qui me réclamait des bisous. Je me suis dit inconsciemment que si un jour j'étais en difficulté, mon père ne me viendrait pas en aide. Message reçu, Maurice.

L'unijambiste s'est suicidé 5 ans plus tard. Mon père était triste. Pas moi.

Ces premières années furent donc marquées par l'absence, ponctuée de quelques rares escapades pas toujours très heureuses. Mon père vivait aux quatre coins de la France, travaillait je ne sais où et vivait avec je ne sais qui. L'entreprise de destruction a commencé bien plus tard, à l'adolescence. Cela a été très progressif, très lent. Je ne peux même pas dire quel a été le premier fait destructeur ; je suis incapable de m'en rappeler. On peut comparer cela à un prédateur qui asphyxie doucement sa proie, ou, plus poétiquement, à un ténia qui envahit lentement un gros intestin. Mon père ne m'a jamais frappée. Jamais. Et il en était fier, d'ailleurs. Le pire, c'est qu'il était sincèrement convaincu de ne pas être violent. Pourtant, il l'était. Une violence inouïe. Une violence insidieuse. Une violence par sous-entendus. Il sous-entendait que j'étais grosse. Il sous-entendait que j'étais moche. Il sous-entendait que j'étais empotée, nulle, incapable de faire quoi que ce soit de bien. Il sous-entendait que j'étais méchante avec lui, lui qui s'était tellement battu pour me voir quand j'étais petite, parce que ma mère et mes grands-parents l'empêchaient de me voir (LOL). Il sous-entendait que j'avais vraiment un comportement impossible ; que ses propos étaient juste de l'humour, que je n'avais vraiment aucune auto-dérision. Que j'étais susceptible. J'y reviendrai plus tard, mais ceci explique certainement qu'aujourd'hui je sorte de mes gonds lorsque ma mère me parle de ma susceptibilité.

Mon père créait un climat d'anxiété permanent. Il me faisait chier avec mes notes à l'école. Il me faisait faire des exercices de maths et me faisait réciter mes leçons alors que je n'arrivais pas à apprendre. Il disait que je ne foutais rien, mais c'est juste que j'étais trop angoissée pour travailler sereinement. J'avais besoin de m'évader, de me sortir de ce climat familial anxiogène. Mon cerveau était déjà trop plein. Mais comment lui expliquer cela ? Je n'avais pas les mots, et lui n'en avait strictement rien à faire de la psychologie et des émotions de son enfant. Tout ce qu'il savait, c'est que j'avais d'énormes capacités (ah bon, je croyais que j'étais nulle??) et que je gaspillais mon intelligence à « ne rien branler ».

Il se moquait beaucoup de moi aussi ; en public de préférence. C'est mieux avec un public, on se sent plus puissant. Le meilleur public pour lui : sa famille. Un auditoire déjà acquis, puisqu'il les endormait depuis des années en leur servant des monologues étayés de mots qui le faisaient passer pour un intellectuel, tels que « en l'occurrence », « dubitatif » ou « théoriquement ». Mon père utilisait cette méthode avec tout le monde : parler, parler, parler pendant 3 heures ; un mot de 4 syllabes de temps en temps pour faire joli, et hop la personne en face était anesthésiée. Cela doit être fascinant à observer quand on n'en est pas la victime. Hélas, j'en étais la victime. Sa famille aussi. Ma mère aussi. Sa nana aussi. Il m'humiliait devant sa mère, son frère, sa sœur, sa belle-soeur. Il m'en mettait plein la tête en me regardant de haut et de côté ; son bout de pain à la main, les yeux légèrement clos. Je me rappelle m'être dit qu'il prenait son pied en faisant cela. Il jouissait. Je me ratatinais sur ma chaise, je me sentais comme une merde, et lui il jouissait.

Inutile de compter sur le soutien des personnes assises à table avec nous : quand il parlait, ils se taisaient tous. Certaines de ces personnes sont aujourd'hui encore sous son emprise. Certaines de ces personnes croient encore aujourd'hui que je suis méchante, que j'ai abandonné mon père parce que j'ai été manipulée par ma mère. Certaines de ces personnes croient REELLEMENT que mon père est une victime. Elles croient sérieusement cela, alors que je porte encore les stigmates de cette violence et que je les garderai toute ma vie, et que j'en pleure encore aujourd'hui en me demandant ce que j'ai fait pour mériter ça, car je n'étais qu'une gamine, merde. Je ne veux jamais revoir ces gens. Jamais.

Quand on a un père comme celui-là, on le surveille comme du lait sur le feu. On s'attend à tout moment à ce que ça dérape. On essaye de serrer les dents quand il est méchant. On est soulagé quand il est gentil. On est soulagé quand il est NORMAL. On sent qu'il y a un malaise dans l'air, mais on ne sait pas pourquoi. On se demande ce qu'on a dit de mal, ce qu'on a fait de mal. Et comme il ne dit rien, on cogite. On se refait le film de la journée, des jours précédents, du dernier appel téléphonique. On cherche inlassablement. Une phrase maladroite peut-être ? C'est vrai, en y réfléchissant, on se rend compte que telle parole a été prononcée d'une manière un peu agressive. Oui, ça doit être ça. On est soulagé d'avoir mis le doigt dessus, mais on culpabilise parce qu'on n'a jamais voulu lui parler de cette manière. Alors on va le voir et on se montre le plus gentil possible. Pour qu'il soit gentil. Bien sûr, on ne parle pas de LA PHRASE malheureuse qui est à l'origine de la colère froide du paternel, mais on lui montre implicitement qu'on a compris, qu'on regrette. Qu'on s'excuse. Et on soupire de soulagement quand il est enfin gentil. Le malaise est passé ; à partir de maintenant on va se montrer irréprochable, jamais un mot plus haut que l'autre. Pas de rebellion. Quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse, il aura raison.

D'une manière générale, on essaye de tout faire pour ne pas déclencher ses foudres. On dit ce qu'il veut qu'on dise, on fait ce qu'il veut qu'on fasse. Et surtout, on ne lui tient pas tête. On veut juste être tranquille, que cela se passe le moins mal possible. La paix.

C'est horrible. C'est une gymnastique permanente ; un jeu d'équilibriste. On se remet sans cesse en question. On sur-analyse le moindre de nos faits et gestes, la moindre de nos paroles. Les moments de répit ne sont en fait que de faux soulagements ; ils grignotent doucement le cerveau et mettent en place les rouages de maladies psychosomatiques plus ou moins graves, au même titre que les moments où la cocotte-minute explose. C'est de la toxicité à l'état pur. Des violences sournoises qui sont d'autant plus terribles qu'elles ne laissent pas de trace visible.

J'étais incapable de répondre à mon père. Je savais que son discours n'était pas normal ; je sentais que quelque chose ne tournait pas rond, mais il me tétanisait. Et le pire de tout, c'est que durant les dernières années, je voyais sa belle-fille (la fille de sa compagne), qui elle, arrivait à lui répondre. Elle lui rabattait son caquet, et il la RESPECTAIT. C'était terrible. Je m'énervais de ne pas y arriver alors qu'elle, elle y arrivait. C'était insupportable d'humiliation. Et surtout, pourquoi moi la gentille, je me faisais traiter comme de la merde alors qu'elle, la grande gueule, elle avait droit à de la considération ? Ce n'était pas logique.

Avec le recul, je me dis que cela avait été facile pour elle de se forger une personnalité et un caractère qui lui permettaient de répondre à mon père, étant donné qu'elle avait grandi avec des parents normaux (bon sa mère était idiote, mais au moins pas de prise de tête, de névrose ou je ne sais quoi. Juste du vide et de la superficialité. Quelquefois ce n'est pas plus mal). Elle n'avait jamais été rabaissée. Et accessoirement, elle n'était pas autiste Asperger non plus. C'est beaucoup plus facile d'ouvrir sa bouche quand on n'est pas lesté par de tels bagages.

Il faut savoir que mon père a des atouts pour lui : il présente bien physiquement et il est drôle. Vraiment drôle quand il veut. J'ai lu des BD qu'il a dessinées quand il avait 14 ans, il avait un réel talent, aussi bien pour le graphisme que pour les gags. Il m'a souvent fait rire. Son physique et son sens de l'humour auraient pu servir à faire du bien aux autres, malheureusement il les a utilisés pour faire du mal. Pour séduire. Pour manipuler. Pour se faire passer pour une victime. Pour détruire sa propre fille. Pour rabaisser plus bas que terre les gens qui l'aimaient. Pour foutre en l'air tout ce qu'il avait commencé à construire : famille, entreprises... Il y avait l'image qu'il donnait en société : quelqu'un de sympa et de marrant. Et puis il y avait sa face sombre, celle d'un homme profondément névrosé qui avait besoin de vampiriser les autres pour exister. Je mets tout cela au passé car j'ai coupé les ponts avec lui depuis presque 17 ans, mais je suppose qu'il a toujours en sa possession quelques marionnettes qu'il manipule selon ses humeurs. Je les plains. Sincèrement je les plains. Et je leur souhaite d'avoir dans leur entourage quelqu'un qui leur ouvre les yeux et leur donne le seul conseil à donner dans une telle situation : fuir.

Je n'ai jamais raconté à ma mère ce qui se passait chez mon père, j'en étais incapable. J'étais sous emprise. J'avais peur de lui. Peur des représailles. C'est sur ce dernier point que le sujet de mon père est tabou avec ma mère : elle refuse d'admettre que j'avais peur de lui. Elle est persuadée que je l'admirais. J'ai eu beau lui dire que c'est faux, archifaux et tout ce qu'on veut, elle n'en démord pas. Elle sait mieux que moi ce que je ressens, et c'est proprement insupportable. Je suis quand même la mieux placée pour analyser mon ressenti, non ? Et bien non. J'ai envie de hurler quand elle commence à évoquer ma soi-disant admiration pour ce monstre. Cela me rappelle quand j'étais petite et que ma grand-mère me disait que je faisais un « caprice » alors que j'étais juste malheureuse et que je n'arrivais pas à le dire. Quand la personne en face refuse d'admettre une émotion que l'on ressent au plus profond de soi, c'est horripilant. Ma mère voit les choses de son point de vue d'ex-femme : oui en effet, il ne lui a jamais versé de pension alimentaire, oui il aurait dû le faire comme n'importe quel père divorcé, mais pour moi c'est juste un élément qui complète le tableau ; un accessoire purement matériel. Je ne dis pas que ce n'est pas grave de ne pas payer de pension alimentaire ; je n'ai jamais dit cela. Simplement, le principal pour moi c'est le côté sentimental, le côté destructeur. En quoi accorder davantage d'importance à cet aspect du bonhomme, fait de moi une fille qui lui donne raison de ne pas avoir subvenu aux besoins matériels de son enfant ? Bref, on n'en sortira jamais, donc j'ai renoncé à la convaincre et je fuis toute discussion qui commence à glisser sur ce terrain.

Elle n'a eu connaissance de tout cela que bien plus tard, et encore je ne lui ai pas tout raconté. D'une part parce que cela n'aurait rien changé, et d'autre part parce que je ne me souviens même pas de tout. Je sais juste que j'ai été maltraitée par mon père. Que j'ai été victime de violences psychologiques. Je sais qu'elle s'en veut de m'avoir envoyée en vacances chez mon père ; qu'elle se dit que si elle ne s'était pas battue pour que je garde contact avec lui, rien de tout cela ne serait arrivé. Mais je pense que cela aurait été pire : quelqu'un qu'on ne connaît pas, on l'idéalise. Je l'aurais imaginé grand, beau, riche, gentil, et là pour le coup je l'aurais admiré alors qu'il n'y avait vraiment pas matière à le faire. Au moins je sais qui il est, et je sais que je n'ai plus de temps à perdre avec lui. Pas d'idéalisation, pas de scénario idyllique ou au contraire dramatique. Pas de pathos. Ce qui est fait est fait. Je n'en veux pas à ma mère ; elle a fait ce qu'elle pensait être le mieux pour moi à ce moment précis.

J'ai coupé les ponts avec mon père en 2003. Ma première décision d'adulte. Une renaissance. Certes j'étais cabossée, abîmée, apeurée ; j'avais d'autres sources d'angoisse (mon père est en partie responsable de mon mal-être, mais il n'est pas le seul. J'y reviendrai), mais j'ai été libérée d'un poids.

Il y a quelques mois, j'ai lu « Au cœur des émotions de l'enfant » d'Isabelle Filliozat. Grâce à ce livre, j'ai commencé le cheminement pour pardonner à mon père. C'est une entreprise très difficile que ce pardon. Comment pardonner quand on sait que non seulement le bourreau ne demandera jamais pardon, mais qu'en plus il n'éprouvera jamais aucun regret pour le mal qu'il a fait ? Pourtant je dois lui pardonner, je dois pardonner à toutes les personnes qui m'ont fait du mal sinon je ne vivrai jamais en paix.

Ma mère serait horrifiée de lire des propos pareils ; elle penserait que chercher à comprendre et à pardonner = dire que tout ce qu'il a fait n'est pas grave. Or ce n'est pas du tout ce que je dis. Ce qu'il m'a fait est grave.

Bref.

Je ne peux pas croire qu'un être humain soit foncièrement méchant. Quelque chose a fait que mon père ne sait pas aimer, qu'il est incapable d'éprouver de l'empathie, de l'amour ou n'importe quel sentiment positif. Etre méchant et rabaisser, c'est la facilité. Montrer ses failles, pleurer et dire qu'on est malheureux, demander pardon, reconnaître ses torts, admettre qu'on a mal agi et qu'on a fait des erreurs, se remettre en question, s'analyser, voilà le vrai courage. Mon père est un lâche. Mais je vais essayer de lui pardonner. Cela me prendra peut-être toute la vie, peut-être que je n'y arriverai que sur mon lit de mort, mais j'y arriverai. Je ne le fais pas pour lui ; je le fais pour moi.

J'aurais juste voulu avoir un père normal. J'aurais juste voulu avoir un papa.

tofo

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Commentaires
M
Déjà pouvoir en parler c est un (très) bon point. Tu devrais en parler à ta mère, cela te donner les clefs de compréhension et te fera avancer dans ta démarche. Les non dits sont souvent destructeurs.
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D
Audrey> oui et je ne comprends même pas que certaines personnes ne soient pas choquées par le fait que mon père regardait dans son rétro sans rien dire ni rien faire 😓 et pour le reste tu as tout compris 🙂
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A
L'anecdote de la voiture avec le mec bourré est affreuse. Malsaine :( <br /> <br /> <br /> <br /> Tu es courageuse de songer à pardonner. A ta place, je ne sais pas si j'en serai capable et en même temps, comme tu dis, c'est avant tout pour toi, pour ta sérénité que tu le fais. Lui pardonner, ça ne veut pas dire oublier ni reprendre contact. C'est juste apprendre à vivre avec ces traumatismes. Je ne doute pas que tu y parviendras.
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A
A peu de choses près : idem.<br /> <br /> <br /> <br /> Et surtout : bravo. Tu peux être fière de toi, en tout cas moi je suis fière de toi.
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Z
Wa... quel article. En effet, le pardon que tu veux accorder à ton père doit t'être utile à toi et à personne d'autre, c'est ton choix et personne n'a le droit de le remettre en question. Je trouve ça très courageux de ta part d'entreprendre cette démarche. <br /> <br /> Quant à t amère, malheureusement, je ne sais pas si tu pourras arriver à parler de tout ça avec elle un jour, c'est peut-être plus facile pour elle d'avoir ce point de vue sur cette situation.
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