Au début où je connaissais B., l'idée de le savoir chez lui avec femme et enfants m'était insupportable. Parce que je l'aimais, parce que je voulais être avec lui tout le temps, parce qu'il m'avait menti par omission en me cachant l'existence de sa femme. Mais aussi parce que ELLE, elle avait des enfants et pas moi. Parce qu'elle l'avait connu avant moi (ce qui est logique puisque j'avais 9 ans quand ils se sont mariés donc je ne risquais pas d'être la prem's. Mais rien n'est rationnel quand on aime quelqu'un). J'avais peur de ne jamais avoir d'enfants. Peur de ne jamais trouver quelqu'un qui voudrait en avoir avec moi. Peur de finir seule avec ma mère alcoolique. Je me sentais inférieure aux autres. Je me sentais nulle.
Puis B. a quitté sa femme. Je suis devenue l'officielle. La numéro 2, la "pas mariée avec", celle de la deuxième partie de vie, mais l'officielle quand même. La cousine de B. m'a d'ailleurs présentée comme étant "la femme de B.", j'ai pris ça comme un adoubement ^^. Un jour, je ne me souviens plus pourquoi mais on est allé chez le patron pour qui B. travaillait à l'époque. Il y avait plein de monde dans la maison (son patron et sa compagne avaient trois enfants chacun, plus un pote et son fils qui étaient là, bref ça grouillait de partout et j'étais intimidée). C'était bien avant la naissance d'Alice, je ne sais plus si on essayait déjà de faire un bébé mais en tout cas on n'en avait pas encore à ce moment-là.
A un moment donné, parce que c'est venu naturellement dans la conversation, B. a expliqué à la cantonade : "Quand Maelle était bébé j'étais obligé de la mettre dans la voiture et de rouler pendant une heure pour qu'elle s'endorme". Cette phrase a résonné en moi comme un coup de poignard. Je n'avais pas d'enfants, l'autre en avait eu avec B. et ça resterait comme ça toute la vie. Pas parce qu'on n'y arriverait pas, mais parce que ce rôle n'était tout simplement pas fait pour moi. Je me suis dit : "Mais en fait, je ne serai pas maman. Je ne peux pas. Je ne suis pas digne d'être maman. Quand B. parle de Maelle qui dort sur le siège arrière, c'est comme s'il décrivait la vie sur une autre planète que je ne connaîtrai jamais. Je ne suis pas assez bien pour vivre ça. Je ne le mérite pas". La vie m'a donné tort puisqu'on a eu Alice et que je suis une très bonne maman, et que je n'ai nullement le sentiment d'être un imposteur dans ce rôle.
Il y a quelques mois -je l'ai évoqué ici- je suis tombée amoureuse d'une collègue de travail. C'est venu insidieusement, ça s'est invité chez moi à pas de loup, sur la pointe des pieds, puis ça m'a récemment explosé à la figure comme un gamin qui ferait péter un sac en papier après avoir soufflé dedans : PAF. Je ne l'ai pas vu venir. Pour être tout à fait franche il y a toujours eu un petit truc, depuis le début, mais ça paraissait anodin : de la jalousie par rapport à sa bonne entente avec une collègue, mais pas avec une autre (je sais, c'est bizarre mais rien n'est rationnel blablabla). Puis je me suis rendue compte qu'elle me manquait quand elle n'était pas là, que je m'intéressais à elle (j'ai notamment acheté une bande dessinée qui parle du handicap dont souffre son fils). J'ai commencé à lui tendre des perches, à lui expliquer que je ne serais pas contre une relation extra-co mais uniquement pour du fun, j'ai essayé de sous-entendre ma nature queer (dont j'ai pris conscience récemment mais ça elle n'est pas censée le savoir) ; je la trouve plus jolie que jamais, bref je suis tombée dans le piège à pieds joints. Je n'ai pas le coeur qui s'emballe à chaque fois que je la vois, c'est plus subtil que ça. C'est compliqué. Et je m'en veux parce que depuis le début il y a des red flags mais je continue à foncer tête baissée comme si je refusais de les voir : 1. à plusieurs reprises, je n'allais pas bien (pour des raisons pro), j'étais juste en face d'elle et elle a fait comme si de rien n'était. 2. Un jour, j'allais très mal (pour des raisons perso cette fois-ci), elle m'a proposé d'en parler mais je ne sais pas pourquoi, une petite voix dans ma tête m'a dit de ne rien lui dire. Pourtant j'avais vraiment envie de lui en parler car je crois qu'elle et moi on a le même type de mère. Mais ce quelque chose qui me dit qu'elle ne doit pas connaître l'état de santé de ma mère, signifie pour moi que je n'ai pas confiance en elle. 3. Plus récemment, je me suis épanchée auprès d'elle concernant des trucs au boulot qui me rendent très inconfortable. Elle m'a écoutée, mais elle ne m'a pas entendue. Elle n'est pas dans l'accompagnement. Elle dit "ok" mais elle ne fait rien. Si elle est comme ça en temps que supérieure hiérarchique, comment penser que c'est quelqu'un de bienveillant en-dehors du travail ?
4. Et pour finir, on est teeeeellement différentes... Elle est extravertie, adore sortir, faire la fête, moi je suis phobique des événements sociaux, qu'est ce que tu veux qu'on foute ensemble franchement ^^'
Bref, l'alternance de chaud et de froid c'est pas mon truc, même juste pour un plan je ne veux pas d'une planche pourrie. Je veux être sûre que la personne est fiable et qu'on sera en bonne intelligence et là, j'ai un doute. Malgré tout, il y a une partie de moi qui s'accroche et j'aimerais tant réussir à lâcher prise.
C'est un truc con comme la lune qui m'a fait comprendre qu'il fallait vraiment arrêter les frais. Je vais être obligée de vous raconter une partie de la vie de ma collègue pour que vous compreniez (accrochez-vous) : elle a été mariée avec le père de ses enfants pendant très longtemps (bon là c'est simple. C'est après que ça se corse). Elle a divorcé puis elle a vécu en couple avec un homme veuf qui l'a demandée en mariage avec la bague de sa femme décédée (oui oui), puis ensuite elle a vécu en couple avec une femme veuve... qui l'a quittée pour se marier avec le veuf (vous suivez toujours ? En gros son ex mec et son ex fille sont aujourd'hui mariés. Oui, il y a du level chez elle aussi ^^).
Et donc là, elle est célibataire depuis deux ans et demi. A priori elle cherche plutôt un mec mais moi j'ai été assez naïve pour me dire que ma beauté et mon charisme naturels suffiraient à la convaincre de retourner faire un tour chez les queer (LOL). Vendredi midi, on était à table au boulot et à un moment donné elle a sorti une phrase qui m'a fait un mal de fou : "Quand j'ai acheté une maison avec A." A., c'est la femme avec qui elle a vécu en couple. Celle qui l'a larguée pour son ex veuf.
Je savais qu'elle avait été en couple avec une femme. Je savais donc qu'elle avait aimé cette femme. Et même si elle me plaît, c'est bien normal qu'elle ait eu une vie passée, qu'elle ait aimé des personnes, qu'elle ait eu des enfants etc. J'ai bientôt quarante ans donc je ne raisonne plus comme à vingt, j'ai parfaitement intégré tout ça. Mais là, ce "quand j'ai acheté une maison avec A.", ça m'a littéralement dézinguée. Exactement comme le : "quand Maelle était bébé j'étais obligé de la mettre dans la voiture et de rouler pour qu'elle s'endorme" de B., il y a des années de ça. Pourquoi ? Parce qu'une personne que je kiffe ++ parle d'un truc qu'elle a vécu sans moi et que je suis jalouse. A l'époque, je n'avais pas de bébé avec B. Aujourd'hui, je n'ai pas de maison. C'est complètement débile, mais malheureusement c'est bien là et ça fait bien mal.
Je me sens con de ressentir ça, surtout que ma collègue vit aujourd'hui seule dans un appartement social qu'elle loue, donc la maison avec A. ça fait bien longtemps qu'elle ne l'a plus. Pour autant, après cette phrase j'ai passé toute l'après-midi à avoir la nausée et envie de pleurer. Tout le week-end je me suis tapée des aigreurs qui sont descendues le dimanche en douleurs intestinales. J'ai compris que ce n'était plus possible. J'ai compris qu'il fallait renoncer. J'ai compris que ça ne se ferait jamais. J'ai compris qu'il fallait que j'arrête de rêver ma vie et que je me consacre à ma vie bien réelle, celle qui est là sous mes yeux. Alors oui ce n'est pas parfait, oui j'ai un mec qui ne fait pas grand-chose à la maison, mais j'ai surtout un mec que j'aime et qui me respecte, ce qui n'est pas donné à tout le monde. J'ai une fille qui a besoin d'une mère responsable et pas d'une mère frivole qui rêve sa vie. De toute manière on veut toujours ce qu'a le voisin, non ? Certains vont penser que c'est une fuite en avant, moi je crois surtout que c'est un ré-ancrage dans la réalité.
Ca va être très dur, parce que cette collègue, je la vois 4 jours par semaine. Je vais être obligée de rester distante avec elle, je vais être obligée de m'interdire d'imaginer je ne sais quoi. Je vais devoir accueillir un jour la nouvelle qu'elle est en couple et heureuse, peut-être serrer les dents et pleurer sous la douche. Il ne s'est rien passé mais j'accueille vraiment ça comme un chagrin d'amour. Mon coeur est brisé mais je vais devoir essuyer mes joues et me relever. Regarder devant. On ne s'est pas rencontrées au bon moment, pas au bon endroit. Ce ne sera pas elle. C'est ainsi. Ainsi va la vie...