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Le blog de Dawn Girl
15 juillet 2020

Décalage(s) - Partie 2

NB : j'ai créé une nouvelle catégorie d'articles intitulée "Asperger" pour permettre de retrouver plus facilement mes posts sur ce sujet.

Après avoir évoqué l'aspect sensoriel de mon syndrome d'Asperger, je vais maintenant parler de l'aspect social. Il s'agit d'un chantier autrement plus long que la première partie ; je ne sais même pas par où commencer tellement j'ai de choses à dire. Par ailleurs je dois rédiger mon article tout en essayant de ne pas partir dans tous les sens, de ne pas être trop barbante, trop technique, trop longue ou que sais-je encore. Je pense que le plus pertinent est de commencer par un exemple précis, puis d'élargir ensuite à quelque chose de plus global. Il se trouve qu'il y a justement une situation actuelle qui cadre parfaitement avec le sujet, et qui, cerise sur le gâteau, englobe à la fois l'aspect sensoriel et l'aspect social.

Cela s'est passé en décembre dernier sur mon lieu de travail : l'une de mes collègues nous a annoncé qu'elle était enceinte. Il s'est alors passé quelque chose qui m'a mise très mal à l'aise : Mylène et mon autre collègue l'ont prise dans leurs bras, se sont écriées "MAIS C'EST GENIAAAAAL !!!" et l'une d'elles a même versé des larmes de joie...

Ca m'a complètement bloquée ; je suis restée en retrait ; ma collègue enceinte a fait mine de s'approcher de moi mais j'ai dû me reculer machinalement. Non non, pas de bise et encore moins d'effusions, je trouve ça complètement débile de s'emballer à ce point. Ok une grossesse est une bonne nouvelle mais putain je vais pas la prendre dans mes bras parce qu'elle a baisé avec son copain. La situation m'a tellement gênée que je crois que je n'ai même pas dit "félicitations" (bon en même temps j'aurais été hypocrite de le dire étant donné que je n'en avais rien à foutre). J'avais juste envie que ça s'arrête ; qu'on arrête de parler de ça et qu'on retourne au travail. Leur démonstration de joie m'angoissait.

Je sais que mes propos peuvent choquer. Mais en fait c'est typique du syndrome d'Asperger (et moi ça me soulage car cela signifie que ce n'est pas ma faute) : on est franc, sans filtre (enfin moi j'ai appris à mettre un filtre donc vous imaginez si je n'en avais pas :'-))))) ). On n'ajoute pas  machinalement "ça va ?" quand on dit bonjour à quelqu'un, pour la simple et bonne raison qu'on s'en fout. On ne dit pas "félicitations" quand Martine annonce qu'elle attend un bébé, parce qu'on s'en fout également. Mais les choses sont également valables dans l'autre sens : moi ça m'énerve quand quelqu'un me demande machinalement "ça va ?" alors qu'il ne faut pas se mentir, 90% du temps mon interlocuteur s'en tape de savoir comment je vais. Ne me demande rien mec, ce sera plus simple. Ca m'énerve également quand quelqu'un me souhaite joyeux anniversaire sur Facebook alors qu'il s'en tape de mon anniversaire (d'ailleurs je crois que j'ai viré ma date de naissance de mon compte pour stopper cette hypocrisie ; au moins ceux qui me le souhaitent y pensent réellement ^^). Je ne veux pas de politesse sociale, de courtoisie urbaine ou tout ce qui peut s'apparenter à une quelconque façade artificielle (j'y reviendrai sûrement). Ces artifices ont la même finalité que les bâtonnets des personnages piqués sur les bûches de Noël : je les jette dans mon assiette ou je me cure les dents avec, au choix.

En revanche il y a une contrepartie à cela : quand je demande à quelqu'un s'il va bien, c'est que je m'inquiète VRAIMENT de savoir s'il va bien. Quand j'ai écrit à Myriam "prends soin de toi" pendant le confinement, je lui ai VRAIMENT souhaité de prendre soin d'elle et de ne pas choper la pangolite. J'ai lu plusieurs articles sur le mutisme sélectif, mais je n'arrive pas à savoir si je suis atteinte de ce trouble ou si c'est autre chose. J'ai conscience, depuis toute petite d'être très attentionnée envers certaines personnes alors que je me fous royalement des autres. Il n'y a pas de critère de sélection particulier ; c'est juste comme ça, c'est tout. Pour la personne A je vais avoir envie qu'elle soit heureuse, alors pour que la personne B je m'en branle (bon je ne lui souhaite pas de crever non plus hein). Je compte en parler au psychiatre parisien que je verrai au mois de novembre, mais encore faut-il que le contact passe bien avec lui... Et ça, comme pour le reste ça va être quitte ou double. ^^

Bref pour en revenir à ma collègue, la suite des événements m'angoisse déjà. Elle était déjà agaçante quand elle était enceinte ("je n'ai pris que 7 kilos, je n'ai aucune nausée, on a acheté une nouvelle voiture, tout est merveilleux blablabla"). Maintenant qu'elle a accouché je suppose qu'elle va venir au cabinet pour nous montrer son bébé. Je n'ai jamais compris cette tradition de venir présenter son ex-foetus à ses collègues. Il faut s'extasier sur le nourrisson et ça m'emmerde.

morue

 

Moi enceinte en 2015 vs ma collègue enceinte en 2020

Alors vous allez me dire que je n'ai qu'à faire semblant, que ce n'est pas compliqué, mais je vous jure que c'est VRAIMENT très (trop ?) difficile pour moi ; ça m'angoisse. C'est comme pour le fait de devoir me réjouir quand elle a annoncé sa grossesse ; je ne sais pas faire ça. Je ne sais pas faire semblant. Qu'on s'entende bien : je suis contente pour elle ; j'ai la chance d'être maman et je souhaite à toutes celles qui le désirent de connaître aussi la maternité. Et bien évidemment je n'ai rien contre son bébé à qui je souhaite une vie heureuse et en bonne santé. Mais je n'ai pas envie d'être OBLIGEE de lui dire que sa fille est mignonne ; je n'ai pas envie d'être OBLIGEE d'entendre la jeune maman dire que ce n'est que du bonheeeeeeur, qu'elle a perdu tous ses kilos de grossesse en dix jours, que son bébé dort 14 heures par nuit depuis la sortie de la maternité et qu'elle se met des doigts dans la chatte tellement elle est épanouie et tellement sa vie de famille est merveilleuse. La niaiserie ça m'insupporte.

A LA RIGUEUR si elle avait été comme moi, du style à être franche et à dire que OUI, un enfant c'est beaucoup de bonheur mais que putain, les pleurs c'est chiant parfois (et tout le reste mais j'en ferai grâce pour celles d'entre vous qui n'ont pas encore d'enfant ^^), bref là peut-être que je me serais un minimum intéressée à sa vie de maman. Mais je sais très bien qu'à son retour de congé maternité ça va être le festival de la guimauve au cabinet (surtout avec mes deux autres collègues qui vont se faire un plaisir de rajouter trois tonnes de sucre, punaise j'ai envie de gerber rien que d'y penser). Je pense donc que le jour de la présentation de l'ex-embryon, je vais m'inventer un rendez-vous très important et me barrer vite fait (bon je vais quand même faire un effort et de lui dire que la petite est jolie, mais là je serai vraiment à fond niveau civilités). Je vais encore passer pour une asociale / bizarre / jalouse  mais c'est ce qu'elles pensent déjà depuis très longtemps, donc ça ne changera rien au schmilblick ^^. Next.

 

Morue du dodo

Ma collègue avec son nourrisson de 3 mois vs moi avec ma fille de 4 ans (qui a fait ses nuits à 21 mois. Niééé)

 

Je me suis toujours sentie décalée, pas à ma place. A l'école, lors d'un trajet en car j'étais toujours celle qui se retrouvait sans voisin. Idem en colonie de vacances. Idem l'année dernière lors d'un séminaire au Puy du Fou : lors de la visite des coulisses de la Cinéscénie, mes collègues sont parties ensemble et je me suis retrouvée toute seule. Ca se passe toujours comme ça. Pourtant il ne s'était rien passé de particulier. Le fait de me retrouver toujours toute seule est une énigme insoluble depuis des décennies pour moi ; ça me torture les méninges mais je n'ai jamais trouvé quelque chose de récurrent dans mon comportement qui pourrait l'expliquer. Et surtout quelque chose qui soit présent sur une période aussi longue...

Il y a des milliards de choses qui sont parfaitement naturelles pour vous, telles que répondre au téléphone ou savoir se comporter en société, par exemple. Vous êtes nés avec les codes sociaux intégrés, un peu comme si vous étiez une voiture dont le modèle de série comprend d'office toutes ces options. Moi, je suis le modèle d'usine façonné par un machiniste farfelu, qui m'a ajouté des options rigolotes : lecteur de disques vinyle, dictionnaire intégré... mais pas les codes sociaux. Ceux-là, j'ai dû les apprendre. J'ai observé les autres. Je les ai copiés. Par pour les vampiriser, mais juste pour paraître la plus normale possible. Pour qu'on me trouve intelligente, crédible, et qu'on arrête de se moquer de moi. J'ai appris à parler au téléphone. J'ai appris à inviter des gens chez moi (bon ça c'est encore relativement compliqué aujourd'hui). J'ai appris que si quelqu'un franchit le seuil de ma maison, je dois le mettre à l'aise, le débarrasser de son manteau, l'inviter à s'asseoir. J'ai dû apprendre des milliers de choses qui normalement ne s'apprennent pas. J'en apprends encore. J'en apprendrai toute ma vie. Et je sais que certaines resteront inaccessibles malgré toute la bonne volonté du monde. On ne court pas un marathon en pesant 150 kg.

Je vous admire tous de savoir parler normalement. Je vous admire de savoir accrocher l'attention des gens, de toujours trouver quelque chose à dire ou que votre interlocuteur ait toujours envie de vous dire quelque chose. Moi, j'ai l'impression que toutes mes tentatives sont maladroites ; que j'ennuie les gens, que je ne sais pas faire. A moins de trouver une personne avec qui "ça accroche" vraiment, je vis les situations sociales avec angoisse hashtag les bruits qui résonnent trop fort dans les oreilles et mon regard affolé qui ne sait pas où se poser ; mon corps qui ne sait pas comment se positionner et ma tête qui bouge trop, mes mains qui grattent frénétiquement un bouton imaginaire pour me donner une contenance. Toujours cette impression d'être décalée, d'être différente. C'est fatigant. Ca me rend triste.

Les séminaires professionnels sont un véritable cauchemar pour moi ; j'ai peur de me retrouver seule au milieu d'inconnus qui vont me toiser de haut parce que je suis bizarre (ou plutôt hautaine ; c'est un qualificatif qui m'est souvent revenu aux oreilles). J'ai besoin de me sentir en sécurité dans un endroit que je connais avec des gens que je connais. Pas au milieu d'une tablée bruyante avec un orchestre assourdissant et des gens à qui je n'ai rien à dire.

Etre Asperger c'est aussi devoir faire le deuil de la personne qu'on ne sera jamais, et qui pourtant nous fait rêver dans les stories Facebook ou Instagram : une fille qui sourit à une table, en train de fêter son anniversaire avec ses amis. Une fille que personne ne trouve bizarre ou hautaine. Une fille qui sait parler à ses amis de manière naturelle, une fille à qui on ne coupe pas la parole. Une fille qui bouge naturellement, qui parle naturellement. Pas une fille qui fait tout cela d'une manière artificielle et mal assurée parce qu'elle a dû l'apprendre en autodidacte. J'ai beau faire le maximum pour me "normaliser" socialement, ce travail a ses limites et je ne pourrai jamais devenir comme ces personnes-là. Je sais que j'ai des qualités, qu'on veut toujours ce qu'on n'a pas etc, mais croyez-moi le décalage est bien là et certains jours il est lourd à porter.

Pour l'école d'Alice, c'est super compliqué aussi : bien évidemment il est hors de question d'être accompagnante en sortie scolaire. Un parent normal va y aller tout content, savoir quoi emmener, boire un café détendu avec l'équipe pédagogique (qui le lui aura de toute façon proposé spontanément) ; prendre en charge les mômes comme s'il avait fait ça toute sa vie ; savoir où s'asseoir dans le car, plaisanter avec la maîtresse... tout va aller comme sur des roulettes. Moi, je me pointerais façon Luna Lovegood, je pourrais me carrer le café des instits dans le rectum et il me faudrait des instructions CLAIRES ET EXPLICITES sur TOUT le déroulement de la sortie : où je les retrouve, où je dois me placer, ce que je dois faire du début à la fin... comme pour un enfant. J'ai besoin de consignes pour tout, qu'on me mette à l'aise pour tout, sinon je panique complètement. Rien ne "va de soi" ; je ne comprends pas l'implicite. La seule solution serait d'expliquer au préalable à la maîtresse tous les détails de mon TSA, mais très franchement je pense que la maîtresse n'en aurait rien à carrer de mes bizarreries sociales. Il y aura toujours des parents non-autistes qui se feront un plaisir d'emmener les enfants à la piscine ou d'aider à faire des travaux de bricolage dans l'école sans poser what mille questions bizarres qui vont dérouter tout le monde. Donc je reste à l'écart.

Ne parlons pas des galettes des rois et autres spectacles / kermesses de l'école. Je suis incapable de retrouver au milieu des autres parents. J'ai l'impression qu'ils se connaissent tous et d'être cernée d'ennemis au milieu d'une jungle hostile. Quand la mère d'une élève ne me dit pas bonjour, cela me mortifie. Pourtant je devrais m'en foutre. Et le pire c'est par rapport à Alice : j'ai peur de lui transmettre inconsciemment un message, celui que le monde extérieur est hostile et qu'il faut fuir les gens et rester enfermé chez soi. Bon vous me direz, si elle est Asperger (probable) il faudra de toute façon prendre ce paramètre en compte...

Pour rester sur le thème de l'école, il y a autre chose : Alice va être (normalement) invitée à l'anniversaire de son meilleur copain en septembre. Du coup, en mars prochain, j'aimerais inviter à mon tour ses copains pour son anniversaire. N'importe quelle mère de famille lambda est capable d'organiser ça vite fait, sans stress... Mais pour moi, c'est l'Everest à gravir : accueillir plein de gamins chez moi, faire la déco, organiser des jeux... cela signifie que je vais être responsable de tout, que je vais devoir trouver des idées et tout gérer de A à Z (inutile de compter sur B...). J'ai peur, mais j'ai envie de le faire pour Alice. Pour ne pas qu'elle ait la même vie que moi. Il y a quelques mois, sa psychologue m'a expliqué qu'un enfant observe sa famille et considère ce qu'il voit comme la normalité. Ma mère n'invitait jamais de copines chez moi. Je ne veux pas perpétuer ce schéma. Je ne veux pas qu'Alice pense que la normalité c'est de ne pas avoir d'amis. Que la normalité, c'est d'avoir un père absent. Que la normalité, c'est de devenir solitaire faute de frères et soeurs et faute d'amis. Que la normalité, c'est de se retrouver sans voisin dans le car. C'est la raison pour laquelle je vais mettre un point d'honneur à lui organiser son anniversaire. Ca va être un putain de défi pour moi, je vous le dis.

L'un des frères de mon père s'appelle Fabien, mais ses proches l'ont toujours appelé Fonfon. Un surnom bien débilos pour un enfant que tout le monde prenait pour un débilos. Fonfon était différent. Fonfon était handicapé. Tout le monde se foutait gentiment de la gueule de Fonfon.

Un jour, Fonfon est devenu témoin de Jéhovah. Il a cru que la fin du monde était arrivée et il a sauté  du premier étage de chez sa mère. N'étant pas tombé de très haut, il s'en est tiré avec quelques égratignures. Mais bon bref tout le monde est parti du principe que Fonfon était neuneu.

Et puis, quand j'ai dit à ma mère que je pensais être autiste et qu'elle m'a confirmé qu'elle pensait la même chose, elle m'a sorti comme ça :

"Mais en fait ton oncle Fabien, il est autiste Asperger".

Et là, ça s'est connecté dans ma tête. MAIS OUI PUTAIN. C'est une évidence. Il n'est pas du tout neuneu, il est "juste" autiste. Mais comme il est né dans une famille de cons qui se prennent pour des intellectuels mais préfèrent le traiter comme un neuneu (c'est tellement plus simple), et bien personne n'y a jamais pensé. Alors je sais qu'on ne parlait pas du syndrome d'Asperger il y a cinquante ans (Fabien est né en 1967), mais bon quand même ; avec toutes les émissions consacrées à l'autisme, toutes les études, tous les bouquins sur le sujet moi j'ai fini par percuter que j'avais ce truc-là, donc j'ai du mal à croire que PERSONNE n'y ai songé pour lui. Je trouve cela juste hallucinant qu'il passe pour un handicapé mental depuis des décennies alors qu'il n'est pas handicapé mental. (d'ailleurs il a écrit une palanquée de bouquins qu'on peut facilement trouver en librairie, or je ne pense pas qu'un neuneu vendrait des livres en tête de gondole, hein).

Comme me l'a expliqué la psychologue qui m'a fait passer les tests TSA en 2018, l'autisme féminin et l'autisme masculin sont très différents (je pense également qu'il y a autant d'autismes qu'il y a d'autistes mais ce n'est que mon avis). Une fille autiste va se calquer sur les autres pour essayer de paraître "normale". Un garçon autiste ne va pas forcément le faire, et du coup paraîtra plus "atteint".

Fabien a le visage figé et beaucoup de tics. Dès le premier regard on voit qu'il est différent. Il fronce beaucoup les sourcils, mastique bizarrement ; ignore certaines règles de politesse... Moi aussi j'ai des tics (notamment avec les yeux et je n'arrive pas toujours à le cacher), mais par contre je sais que mon visage n'est pas figé. Les règles de savoir-vivre je les applique ; certaines ont été difficiles à assimiler mais je crois que j'ai réussi. Je n'aurai jamais de réactions complètement "normales" face à des situations stressantes ou tout simplement dans les rapports humains, mais je sais que je suis davantage intégrée socialement que Fabien par exemple. Je ne pense pas que mon chemin soit terminé ; j'en ai fait une bonne partie mais le chantier est encore immense. Je sais que je déplairai toujours à beaucoup de personnes et que j'en souffrirai toujours. Parce que la différence dérange. Et la différence parfois ça fait chier.

(Désolée si l'article est décousu mais il est à l'image de mon cerveau ^^)

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8 juillet 2020

Décalage(s) - Partie 1

hugf

Un petit pas pour l'humanité mais un grand pas pour moi

Il y a quelques jours, j'ai relu le compte-rendu de la psychologue qui m'a fait passer les tests TSA en 2018. Dans ses conclusions, elle parle d'une "hypersensibilité sensorielle" due au trouble autistique. Si on doit diviser mon Asperger en deux grandes catégories de symptômes, il y a d'une part le volet sensoriel, et d'autre part le volet social. J'ai choisi de développer le volet sensoriel dans le présent article, car il s'est récemment passé quelque chose qui représente pour moi un énorme pas en avant concernant mon hypersensibilité.

Pendant très longtemps, j'ai été très sensible à la lumière et aux bruits (c'est un symptôme Aspie très classique). Certains bruits m'apaisent, certains m'émeuvent ; d'autres me font péter un câble. A l'école, j'avais envie de faire une clé de bras à ma voisine de table quand elle farfouillait dans sa trousse. Ce bruit insupportable de crayons en plastique qui glissent et se cognent les uns sur les autres... Rhaaaaa. Cela me rendait dingue. Un jour, mon instit de CM1 nous a fait écouter une chanson enregistrée en live. Les cris et les applaudissements m'ont fait peur : je me suis bouché les oreilles. L'instit me l'a fait payer après ; en expliquant à mes camarades de classe à quel point j'avais été ridicule de me boucher les oreilles comme un bébé de 2 ans (cet instituteur n'était vraiment pas le roi de la psychologie ; mais il devait déjà avoir 172 ans à l'époque donc on va dire que c'était à cause de son grand âge).

Aujourd'hui encore, quelqu'un qui fait grincer ses dents sur une fourchette en mangeant, ça me fait saigner les oreilles. Des bruits de paquets de bonbons dans une salle de cinéma, je déteste ça. Ca me déchire le haut du corps au sens propre ; je visualise une ligne jaune clair allant de mon épaule gauche jusqu'à mon nombril, avec un affreux bruit de papier déchiré très fort dans mon oreille gauche : CRRRRRRR. Je la sens dans ma chair comme si elle était réelle.

Mais ma plus grande sensibilité reste la sensibilité tactile : j'ai une relation d'attraction-répulsion avec le contact physique, qui est évidemment due à mon syndrome d'Asperger mais également au fait que dans ma famille on ne savait pas se toucher, se caresser, se prendre dans les bras. Il y avait trop de cadavres dans les placards. Trop de névroses. Trop de gêne. Trop de maltraitance passée. Trop de non-dits. On ne savait pas faire. Mon enfance et mon adolescence compliquées n'ont fait qu'aggraver le problème : depuis des décennies par exemple, je n'ai aucun contact physique avec ma mère. C'est plus fort que moi, ça me débecte. Je pense que c'est dû à son passé d'alcoolique ; je l'ai vue pendant tant d'années en train de chialer comme une petite fille, s'abîmer, s'uriner dessus voire pire... j'avais besoin d'une mère forte, d'un pilier et à la place j'ai eu une mère faible qui me faisait couler avec elle. Une répulsion s'est installée, s'est ancrée au plus profond de moi même et je crois qu'elle est devenue comme une seconde peau. Je me protège.

Petite, ma mère m'obligeait à faire des bisous aux gens. C'était horrible. Je devais faire des bisous à des gens qui me dégoûtaient, et qui n'avaient sans doute pas envie de me faire un bisou non plus. Un bisou, c'est quelque chose de tendre, quelque chose qu'on fait quand on veut montrer son affection à quelqu'un. Là je le voyais comme une punition, un devoir. Chacun de ses "fais un bisou Dawn Girl" me mettait dans une colère noire. Mais je me taisais ; qu'est ce que j'aurais pu répliquer à 8 ans ? Le pire, c'est que ma mère a ensuite récidivé avec ma fille : "Tu fais un bisou, Alice ?" quand j'entends cette phrase je réagis direct : "NON tu n'es pas obligée de faire un bisou si tu n'as pas envie. Par contre tu dis bonjour". Ma mère ne moufte pas, et elle n'a pas intérêt d'ailleurs.

A mon boulot, il y a cette tradition horrible de se faire la bise le matin en arrivant. Je DETESTE faire la bise à mes collègues ; c'est une véritable violence que je me fais en m'exécutant. En fait, je préférerais leur serrer la main. Le problème, c'est que je me vois mal leur dire : "bon les filles, j'adore quand on parle de cul ensemble, on rigole bien quand on s'imagine le boss culbuter sa femme en levrette, mais POUR AUTANT je suis autiste Asperger et je préférerais qu'on se serre la main le matin. En effet je suis très sensible au niveau du toucher, et faire la bise me dérange. Ca n'a rien de personnel hein !".....

Si je leur dis ça, non seulement elles vont le prendre comme un rejet personnel mais EN PLUS je vais passer pour une illuminée (bon vous me direz, je passe tout le temps pour une illuminée). Ce qui est cool, c'est que depuis le Covid mes collègues ont repris la bise entre elles mais pas avec moi ; elles doivent penser que j'ai peur de le choper. Bah c'est une raison comme une autre... ^^

 

(petite parenthèse je rassure tout de suite l'Averse que j'ai déjà rencontrée à plusieurs reprises : oui on s'est fait la bise mais cela ne m'a pas dérangée :) Parce que là c'est moi qui ai choisi de le faire donc non je ne te serrerai pas la main la prochaine fois ^^)

 

BREF je digresse mais j'en viens donc au fait : le grand pas que j'ai récemment franchi concernant mon attraction-répulsion pour les contacts physiques.

J'ai toujours été fascinée par les gens qui se touchaient naturellement ; par les parents-enfants ou les frères et soeurs qui se prenaient dans les bras de manière tout à fait naturelle. J'aurais adoré être dans une famille tactile et câline ; les étreintes m'ont énormément manqué. Bien sûr, j'en ai avec B. et Alice, mais leurs câlins ont été les premiers (et les seuls) que j'ai connus.

Il y a une quinzaine d'années, j'ai eu envie de prendre quelqu'un dans mes bras. C'était à la fac. Une de mes camarades de promo pleurait parce qu'elle avait peur d'avoir loupé son examen. J'étais juste quelques pas devant elle, je n'avais qu'à m'avancer pour la prendre dans mes bras. J'en avais vraiment envie. Mais je n'ai pas osé. J'ai eu peur d'être maladroite et de mal faire, alors je me suis abstenue. Je suis restée plantée là à la regarder. Un acte manqué...

Et puis... il y a trois semaines, j'étais en train de me changer dans le vestiaire du boulot quand une de mes collègues (Mylène, dont j’ai déjà parlé dans des articles précédents) est entrée dans la pièce. Elle m'a dit qu'elle n'était pas bien, qu'elle avait envie de pleurer. Puis sa voix s'est brisée et elle m'a dit qu'elle en avait marre de se faire traiter comme de la merde.

Je n'ai pas réfléchi : je me suis avancée et je l'ai prise dans mes bras. Cela n'a pas duré longtemps, peut-être 5 secondes (bon il ne faut pas trop m'en demander non plus ^^), mais je l'ai fait. Et je ne l'ai pas fait par défi, mais parce que j'en avais envie.

Je ne sais pas comment elle a reçu ce geste. C'est une collègue que j'apprécie mais que j'ai beaucoup de mal à cerner : je ne sais jamais si elle est hypocrite ou sincère. Avec mon autre collègue elles sont un peu en mode "pétasse" et sont du genre à se prendre dans les bras quand elles ont une nouvelle paire de chaussures ou quand elles parlent de leurs vacances à Belle Ile en Mer. Je n'aime pas les gens qui en font trop ; cela me met mal à l'aise et je préfère partir (et du coup je passe pour la fille hautaine qui n'en a rien à foutre).

BREF tout ça pour dire que Mylène ne le saura jamais, mais l'étreinte que je lui ai donnée avait une importance énorme pour moi : c'était la première de ma vie. Et sans prétention aucune, je pense qu'elle avait beaucoup plus de valeur que les dizaines d'accolades que mon autre collègue lui fait dès qu'elle a réussi à faire caca ou à peindre sa table de nuit en vert. Je ne sais pas si elle la méritait, je ne pense pas qu'elle l'ait appréciée à sa juste valeur mais je ne regrette rien :-)

 

Dans la seconde partie je vous parlerai de l'aspect "social" de l'Asperger (et de mes collègues à nouveau).

 

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