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Le blog de Dawn Girl
6 mars 2020

Violence(s) - Partie 3

Cela a duré de la maternelle jusqu'au lycée. A l'époque on n'en parlait pas dans les médias. On disait « se faire embêter », avec des degrés plus ou moins élevés d'embêtement. Il y avait se faire embêter verbalement, et se faire embêter physiquement. Se faire embêter par un grand, et se faire embêter par des pétasses. Je n'ai qu'une peur aujourd'hui, c'est que ma fille se fasse embêter aussi. Qu'on soit des victimes de mère en fille. Je lui ai légué ma couleur de cheveux (voire peut-être mon syndrome d'Asperger), pourquoi ne lui aurais-je pas également transmis mon gène de victime ?

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Photo scolaire prise à la "superbe" école maternelle dont je parlais dans la deuxième partie. Je ne saurais dire si j'ai l'air triste ou inquiète dessus... Ou les deux.

 

 

 

Je dis cela alors que je sais très bien qu'il n'existe aucun gène pour être une victime. Je pense qu'il y a juste un ensemble de choses qui, additionnées les unes aux autres, font que les chasseurs de victimes repèrent une faille pour trouver une proie. Ces gens-là sont très forts pour ça. Tu ne leur racontes rien de ta vie ou presque, mais cela ne les empêche pas de deviner que tu possèdes une fragilité, même si elle est bien cachée. C'est valable durant l'enfance, mais aussi à l'âge adulte : comment expliquer que certaines personnes par exemple, soient des cibles de harceleurs au travail, alors que d'autres ne seront jamais emmerdées ? Vaste question. En ce qui me concerne, je pense que c'est un combo contexte familial compliqué / défaut de piliers parentaux / autisme non diagnostiqué / école maternelle nazebroque qui ont fait de moi une cible mouvante. Une victime naturelle. Je ne veux pas dire par là que c'était ma faute, mais simplement que je n'ai pas eu de chance.

Les premiers souvenirs de harcèlement scolaire remontent donc à l'école maternelle, cette merveilleuse école dont j'ai parlé dans l'article précédent. Dans la cour, il y avait un arbre qui donnait de la colle, une belle colle liquide et transparente à faire pâlir d'envie le mec de chez UHU. Certains camarades n'ont rien trouvé de mieux à faire que de mettre cette colle sur des bouts de bois et de m'en étaler plein sur ma robe. Cela les amusait beaucoup. Il y a probablement eu d'autres agressions mais je ne m'en souviens pas en détail ; les "gentilles" maîtresses (ironie) ayant surpassé mes camarades en ce qui concerne la catégorie « souvenir pourri ».

L'école primaire a été globalement tranquille, jusqu'au CM2 où les véritables moqueries ont commencé. D'une part mon corps changeait, et d'autre part mon anxiété pathologique engendrait des crises d'hyperphagie. Ma mère m'a toujours acheté beaucoup de gâteaux ; ma grand-mère voulait que je mange gras comme toutes les grands-mères. J'ai donc été élevée au sucre et au gras. Dès que j'avais une contrariété, hop je filais dans la réserve et je trouvais un réconfort sucré. S'il n'y en avait pas, je piquais une crise. Un jour à la sortie de l'école, ma mère m'a ramené une barre de céréales aux fruits « Jump » dégueulasse en refusant de m'acheter quoi que ce soit d'autre ; j'ai eu envie de lui coller son Jump dans la gueule. Les Kinder Bueno, Twix, Petit Ecolier, tablettes de chocolat et j'en passe sont gravés dans mon ADN ; je serai toujours accro à ces cochonneries, même si je n'en mange plus. Je suis comme une ancienne héroïnomane ; le produit a quitté mon corps mais mon cerveau s'en souvient très bien et ne demande qu'à y goûter à nouveau.

Bref, à force d'hyperphagie, j'ai pris du poids. Pas de chance, je n'ai grossi que du bas. Je ne sais plus quel groupe a parodié les Saian Supa Crew dans les années 2000, en chantant « Des petits seins et un gros cul, pala papalalalala » ; voilà c'était exactement moi. Je me faisais chambrer par certains garçons de ma classe, et pour couronner le tout je me prenais aussi des remarques de la part de ma tante, ainsi que d'une amie de ma grand-mère. Oh bien sûr, ce n'était pas dit explicitement ; c'était sous-entendu, à base de : « Tu devrais faire attention » ou autres « Et ton régime ??? » Et le pire, c'est que ma propre mère donnait du crédit à ces remarques : « Elles disent ça pour toi ».

«Elles disent ça pour toi ». BAH VOYONS. Ce n'est qu'à l'âge adulte que j'ai réalisé la violence que ces propos véhiculaient. On sous-entendait que j'étais un boudin, que j'étais trop grosse. Tout ça en m'ayant élevée dans le grignotage. On me rendait responsable d'être devenue accro à la merde qu'on me servait depuis la petite enfance. Je me prenais des remarques d'une violence rare dans la tronche pendant que ma cousine mince avait le droit de piocher des chips devant mon nez, mais tout ça c'était pour mon bien, of course. Le tout cautionné par ma propre mère. LOLILOL.

Bon, la consolation que j'ai aujourd'hui, c'est la relative clairvoyance que j'ai acquise avec l'âge sur ma connasse de tante (pardon je suis grossière mais cette personne est une raclure de bidet et je suis incapable de faire preuve d'empathie envers elle. J'y arriverai peut-être quand je serai très vieille / cancéreuse en phase terminale / étouffée par le coronavirus et que tout cela me paraîtra futile). Mais je ne pense pas me tromper en disant que ma tante crevait en fait de jalousie. J'étais peut-être boulotte, mais j'étais aussi plus jolie et plus intelligente que sa propre fille. J'avais une originalité, elle n'arrivait pas à me cerner, et ça, elle ne pouvait pas le supporter. Je pense que ses flèches empoisonnées étaient des stigmates de vieilles jalousies entre elle et sa sœur (ma mère, donc), et cachaient finalement un complexe d'infériorité.

Aujourd'hui, cette gentille tata a 61 ans ; elle est toute seule dans le quatorzième arrondissement de Paris et plus personne ne lui parle dans la famille. Elle a récolté ce qu'elle a semé. J'espère qu'elle a des amis dans la capitale, sinon sa vie doit être bien pourrie.

Bref revenons à nos moutons. Pour moi le harcèlement scolaire a atteint son apogée au collège. Surtout en 4ème et 3ème. L'horreur. Je me prenais des « Hé, Marguerite ! », des « Grosse truie», des cris de cochon et de vache, des bruits de flatulence sur mon passage. Des rires gras. Des croches-pieds. Des « t'es jolie, mais c'est dommage que t'aies un gros cul ». Toute une palette de gentillesses diverses et variées.

Comme vous le savez, parallèlement à ce contexte de harcèlement scolaire j'étais maltraitée par mon père. Ce n'était guère plus brillant du côté de ma mère (mais ça, j'en parlerai dans la 4ème partie). Bref, un terreau pas vraiment favorable pour se construire une personnalité forte. J'étais démunie. Je n'avais aucune confiance en moi, donc je ne répondais pas. Je baissais la tête et je me taisais. J'encaissais les insultes. De toute façon c'était vrai, j'étais grosse ; on me le disait aussi chez moi donc comment aurais-je pu penser autrement ? J'étais punie pour avoir mangé trop de gâteaux. Si je voulais que les choses changent, je n'avais qu'à me bouger le cul et résister. Mais je n'y arrivais pas. Les insultes entraînaient l'hyperphagie, qui entraînait les insultes. C'était sans fin.

Je voyais des filles minces sortir avec des garçons et je les enviais. Moi je ne sortais avec personne. J'étais indigne d'avoir un copain de toute façon, j'étais trop grosse et trop moche. Je me voyais déjà en future vieille fille. Grosse et moche toute ma vie.

Le harcèlement a fini par s'arrêter en terminale. Oui, en terminale. Cela représente beaucoup d'années de harcèlement, qui resteront à jamais gravées. Qui font que je n'achète plus de gâteaux industriels à ma fille. Que je lui interdis de grignoter avant le dîner. Que j'ai peur quand je vois qu'elle a pris un peu de cuisses (elle a 4 ans à peine :-S). Que je me réjouis qu'elle n'aime pas le Nutella. Que paradoxalement j'ai peur qu'elle devienne anorexique. Que je la supplie de me dire si quelqu'un l'embête à l'école. Que j'espère qu'elle m'en parlera si ça lui arrive. Que je souhaite de tout cœur que son futur collège sensibilisera les élèves au harcèlement scolaire. Qu'elle ne se fera pas pourrir sur Instagram, WhatsApp, Périscope ou je ne sais quelle nouvelle appli qui ne manquera pas de sortir d'ici 2031. Que je prie pour qu'elle n'aille jamais se pendre dans sa chambre après avoir été humiliée par Tartempion de 3ème A.

Si j'en avais parlé à l'époque, je pense qu'on m'aurait écoutée. La principale de mon collège et son adjoint étaient des personnes bien. Mais j'avais peur des représailles. Peur d'aggraver encore plus le harcèlement si je donnais le nom de mes bourreaux. Je faisais donc comme toutes les victimes de harcèlement : j'encaissais sans broncher. J'attendais que ça se passe. Je me demandais pourquoi Elodie, une fille de 4ème D qui était plus grosse que moi, ne se prenait aucune remarque, elle. Quand des bourreaux passaient près d'elle, j'avais envie de leur crier : « Hé mec regarde-la ! Elle est grosse aussi, non ? Pourquoi tu ne lui dis rien ? Pourquoi moi ? Les insultes ne sont pas à la hauteur de l'IMC ? Les très grosses y échappent? Change de cible, merde ». J'avais envie de le crier, mais je ne criais rien du tout. Je fermais ma gueule et je me disais que la vie était profondément injuste.

Aujourd'hui à 36 ans, j'ai toujours des problèmes de poids. Je n'ai jamais perdu mes kilos de grossesse (j'y travaille). Si je suis stressée, je mange du sucre. Je serai droguée au glucose toute ma vie. Je n'ai toujours pas confiance en moi et je n'ai pas de repartie. Je suis une cible facile pour les gens qui cherchent quelqu'un à emmerder, j'ai d'ailleurs été harcelée moralement par une collègue de travail en 2014-2015. J'ai beaucoup de difficulté à m'affirmer ; je culpabilise quand j'ose demander quelque chose. Et pourtant je progresse de jour en jour. Je sais que ce harcèlement scolaire n'est pas le seul responsable de mon manque de confiance en moi, mais il y a contribué. Comme mon père y a contribué. Comme ma mère a dû y contribuer aussi. Je suis morte de rire intérieurement quand j'entends quelqu'un dire que je suis hautaine et/ou très sûre de moi (LOL).

Les harceleurs continuent tranquillement leur vie après, ils oublient. Mais les victimes n'oublient jamais, et certaines en meurent. Moi je ne suis pas morte, mais je suis marquée, et je le serai toujours.

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Commentaires
A
Je suis contente pour toi que tu écrives ces textes, ça a du être difficile à sortir. Bravo ! C'est super pour toi, pour ton avenir, ta fille. Je t'envoie plein de bonnes ondes.
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Z
Effectivement t'as l'air super triste sur la première photo mais sur la dernière, t'es trop belle ! 😍<br /> <br /> Je pense que les choses sont vraiment en train de changer concernant le harcèlement et c'est vraiment important. Pour toi, je te trouve très courageuse d'avoir tenue, je n'imagine même pas à quel point ça a du être difficile de subir tout ça...
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A
"Les harceleurs continuent tranquillement leur vie après, ils oublient". <br /> <br /> <br /> <br /> C'est tellement vrai... J'en ai eu la preuve plusieurs fois, en retrouvant des personnes plus de 10 ans après le lycée qui ne se souvenaient absolument pas de ce qu'ils m'avaient fait subir alors que moi je m'en souvenais parfaitement... A bien des reprises, je me suis dit qu'ils me prenaient vraiment pour une conne mais en réalité, ils avaient vraiment l'air d'avoir complètement zappé. Pour eux, cela relève de l'anecdote passée alors que l'accumulation de toutes leurs paroles et de leurs moqueries ont finalement pesé très lourd dans la construction de ma personnalité. <br /> <br /> <br /> <br /> Bref, je me retrouve pas mal dans ton texte même si je n'ai pas le même contexte familial que toi, bien évidemment. Ce qui n'a rien dû arranger, comme tu le mentionnes à plusieurs reprises. Je suis également d'accord avec toi sur le fait que le "gêne" de la victime n'existe pas mais que certaines personnes savent très bien déceler certaines failles chez d'autres pour finalement s'engouffrer dedans. Je ne sais pas d'où vient la mienne. Je sais que j'ai toujours eu beaucoup de mal à m'intégrer au "groupe", que je me tiens presque volontairement à l'écart et que ça finit toujours par se sentir... <br /> <br /> <br /> <br /> Tous les réseaux sociaux et le reste font vraiment flipper, quand on est parents. Parce que pour la plupart des harcelés de notre époque, les choses s'arrêtaient aux grilles de l'école. Maintenant, tu peux recevoir des SMS et des mails à longueur de journée et de nuit... ça demande beaucoup de vigilance de la part des parents je pense...
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M
Quelqu'un m'avait dit deux choses sur le harcélement scolaire qui m'avait un peu éclairé : <br /> <br /> 1) il y a beaucoup de gens qui se sentent nazes et veulent se sentir plus fort en écrasant quelqu'un (encore plus si il y a jalousie inconsciente, ce que tu décris)<br /> <br /> 2) il y a aussi un aspect animal, qui est que le harceleur ou le groupe va s'en prendre uniquement à celui qui a peur, exactement comme les chiens<br /> <br /> <br /> <br /> Ce que tu écris me parle beaucoup. Tous ces traumas (car il s'agit de ça) restent gravés dans le psychisme et influe sur la vie des personnes concernées, même inconsciemment. Bon cheminement :)
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