"Allô, c'est ton fardeau !"
Voilà comment ma mère s'est annoncée au téléphone il y a quelques jours. La phrase était dite sur le ton de l'humour, mais le genre d'humour où il y a tout de même un petit fond de vérité derrière. D'ailleurs je n'ai pas démenti et j'ai répondu : "Oui, qu'est ce qu'il a mon fardeau ?"
J'ai fini par l'envoyer, ce putain de mail. Pas aux services sociaux (pas encore :-S), mais à l'hôpital. Le plus simple aurait été de téléphoner directement, mais je savais que si je le faisais je pleurerais, or j'en ai marre de pleurer et par ailleurs je m'exprime beaucoup mieux par écrit. J'ai donc cherché l'adresse mail du service d'addictologie (que je n'ai pas trouvée, mais à défaut j'ai pris celle du service où elle a été transplantée), et j'ai écrit en substance :
"Je suis la fille de Mme X, transplantée hépatique en 2017 et suivie par le Docteur Y depuis de nombreuses années. Après avoir eu des doutes depuis plusieurs mois, je suis à présent certaine qu'elle s'alcoolise. Etant donné son passif et le traitement qu'elle prend, je pense qu'elle devrait être hospitalisée sans délai. De plus, elle devrait être suivie +++ au niveau social, car son logement est devenu insalubre à cause de sa maladie. La situation est trop lourde à porter pour moi et je ne suis pas en mesure de l'aider. Comme elle demandera jamais d'aide, je le fais à sa place aujourd'hui. Merci de ne pas lui dire que c'est moi qui vous ai alertés, dites-lui que c'est sa dermatologue".
Vu la teneur de mon appel au secours, je pensais que ça allait bouger vite fait. Et bah rien du tout, nada, walou. L'hôpital ne l'a pas contactée. Alors il peut y avoir des dizaines d'explications à cette inertie :
1- La secrétaire a vu que le mail émanait d'une certaine "Dawn Girl Secret" via une boîte Yahoo, et comme les hôpitaux sont régulièrement victimes de cyberattaques, elle a cru que c'était un spam.
2- Mon mail a pu partir directement dans les spams (justement).
3- Ou alors la secrétaire est une connasse sans coeur qui a lu le truc et qui s'est dit que soit c'était une blague, soit que je ne m'étais pas adressée au bon service donc direction la corbeille.
4- Le message a été passé mais comme dans tous les hôpitaux, les médecins et les infirmières craquent sous la pression et n'ont pas eu le temps de gérer ça.
Bref, quoi qu'il en soit, ce silence radio ne me convient pas. Mais comme je ne veux plus que ma vie tourne autour de la maladie de ma mère, je vais attendre mon retour de vacances (mi-août :-S), et si d'ici là l'hôpital ne s'est toujours pas manifesté, je leur envoie une jolie lettre dans laquelle je balance tout : la crasse, le moisi, les rats bientôt, l'absence de frigo et de téléphone fixe depuis 1 an, la seule prise électrique encore fonctionnelle, la douche inutilisable, le fait que j'ai dû ramasser ma mère par terre sous les yeux de ma fille de 7 ans, les coquards et les bleus qu'elle a comme si quelqu'un lui tapait dessus, et surtout, SURTOUT, je leur dis que s'ils ne font rien et que ma mère meurt seule chez elle, ils seront coupables de non-assistance à personne en danger. Et là pour le coup, moi qui les soutiens à fond dans leurs grèves tellement les gouvernements successifs ont tué l'hôpital public et tellement sa seigneurie le Roi Micron préfère filer des millions à l'armée plutôt qu'à notre système de santé moribond, bah cette fois-ci j'en aurai rien à carrer du Covid, des sous-effectifs ou de la chatte à Mireille. Il me semble que ma mère est légitime pour passer devant Jean-Claude qui vient encombrer les urgences parce qu'il a la chiasse depuis deux jours, ou encore Patricia qui s'est coincé une bouteille dans le derche lors de ses ébats sexuels avec son patron. Merde.
(Bon je ne l'écrirai pas comme ça, mais vous avez compris le truc).
Ces jours-ci ma mère a l'air "normale" quand elle m'appelle le soir, mais je sais que ça peut changer du jour au lendemain et je suis fatiguée, usée, lassée de tout ça. J'ai à la fois peur qu'elle meure et envie que ça s'arrête (je radote).