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Le blog de Dawn Girl
5 septembre 2022

Noyée par la peur

Quand j'étais en CP, mon école m'a fait découvrir un endroit qui m'était alors totalement étranger : la piscine. A l'époque je n'avais jamais mis les pieds dans une piscine, je crois même que j'ignorais ce qu'était une piscine. J'ai appris bien plus tard que ma mère ne savait pas nager et avait la phobie de l'eau ; rien d'étonnant donc à ce qu'elle ne m'ait jamais emmenée là-bas. Vêtue d'un maillot à rayures roses et noires et d'un bonnet de bain vert pomme, j'ai découvert un nouveau terrain de jeux, ou plutôt devrais-je dire un nouveau terrain de terreur.

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Car le moins que l'on puisse dire, c'est que ce lieu m'a immédiatement inspiré de la peur. Et pas une gentille petite peur de bébé. Non, une peur gigantesque, une peur bien trop grande pour moi. Cette eau anormalement bleue, ce n'était pas naturel. Le chlore m'agressait la gorge et les yeux. Les voix des maîtres-nageurs résonnaient trop fort, se répercutaient sur les murs comme des balles de fusil et faisaient accélérer mon cœur. Je sentais que je n'étais pas à ma place là-dedans. Je ne savais pas pourquoi, mais j'avais des nœuds au ventre, mes jambes tremblaient et je n'avais qu'une seule envie : partir en courant.

« J'ai peur », ai-je déclaré à une camarade de classe blonde assise devant moi. « Pourquoi ? » m'a-t-elle demandé. Je n'ai jamais répondu à sa question. Je ne savais pas pourquoi j'avais peur, c'était complètement irrationnel. Je savais juste que j'étais terrorisée.

Il y a trente ans, on ne jetait plus les enfants à l'eau pour les repêcher avec une perche et ainsi les obliger à flotter tous seuls. Pour autant, la bienveillance n'était pas de mise. J'aurais voulu que ce soit ma maîtresse qui s'occupe de nous, mais elle a préféré gérer les enfants qui savaient déjà nager (soit quasiment l'intégralité de la classe ; j'avais d'ailleurs honte d'être l'une des seules à ne pas savoir nager et à avoir peur). Nous autres non-nageurs, nous avons eu droit à un maître-nageur avec un prénom italien, des petites lunettes rondes et une grosse voix. Pas de pédagogie, pas d'accompagnement. Je n'ai pas su nager avec lui, j'ai juste su avoir la trouille d'avoir de l'eau dans le nez et dans les poumons et de mourir. Un jour, j'étais tellement stressée que j'en ai vomi. Une fille de CE1 est restée à côté de moi (elle n'était pas émétophobe, elle ^^), mais mon institutrice n'a jamais rien su de l'incident. Je fermais ma gueule ; je me faisais violence et j'allais dans l'eau même si j'avais envie de hurler. Et quand on quittait la piscine avec nos cheveux mouillés qui sentaient le chlore, j'étais soulagée de ne pas être morte.

Car je croyais réellement que j'allais mourir. Je me revois en train de me regarder dans le grand miroir du couloir chez moi, d'observer ces fossettes en haut de mes joues (vestiges de l'enfance aujourd'hui envolés), et de me dire que j'allais mourir. J'imaginais ma mère venir me chercher le soir à l'école, et qu'on lui annonçait que j'étais morte noyée à la piscine. Un jour j'ai verbalisé cette pensée ; on avait piscine le lendemain et j'ai déclaré : «Peut-être que demain je vais mourir ». Ma grand-mère a été la seule à réagir ; elle a répété à ma mère : « Elle dit qu'elle va peut-être mourir ». Et ça a été tout. On ne m'a pas demandé pourquoi je disais des choses pareilles. Avec le recul c'est hallucinant. Une petite fille de 8 ans qui dit qu'elle va peut-être mourir, ce n'est pas normal. C'est même franchement alarmant. Mais non, rien. On a laissé couler (ah ah). J'imagine que ma mère devait déjà être trop tournée vers son propre nombril pour se demander pourquoi sa fille pensait à la mort tandis que les autres enfants pensaient juste à boire du Banga.

Le calvaire a duré trois années. En CE1 j'ai eu des verrues plantaires, ce qui m'a dispensée de piscine pendant des semaines entières (je vous laisse imaginer le soulagement...). En CE2 une mère d'élève s'est occupée presque exclusivement de moi à chaque séance. Bon elle ne m'a pas appris à nager et j'avais toujours aussi peur, mais au moins j'ai réussi à parcourir la longueur du petit bassin en m'accrochant au bord sans hurler de panique. J'ai également réussi à passer sous une ligne d'eau en me bouchant le nez. Mon instit avait beau être une vieille fille qui ressemblait à une sorcière, pour la piscine elle était davantage bienveillante que sa collègue de CP-CE1.

J'ai fini par réussir à nager à l'âge de 10 ans, dans la mer et en prenant les brassards de mon cousin (qui avait 3 ans...). Une fois ce blocage passé, j'ai pu retourner à la piscine. J'ai consenti à m'éloigner du bord et à nager sur une largeur en étant accompagnée de ma cousine, mais j'ai eu beaucoup de mal au début.

J'ai souvent nagé très loin dans la mer, parfois même jusqu'aux bouées. Pour autant, je ne sais nager que la brasse (et encore, je pense que je me fatigue à cause de mauvais mouvements). Aujourd'hui encore, je suis incapable de mettre la tête sous l'eau. Je suis incapable de sauter dans l'eau et encore moins de plonger. Au lycée, je me suis retrouvée paralysée parce qu'il fallait sauter dans le grand bassin. Blocage complet. TOUS les autres élèves l'ont fait sauf moi. Quand j'ai dit à mon prof de sport que j'avais peur, il a haussé les épaules l'air de dire « bah tant pis ». Ensuite ils ont annoncé qu'on allait devoir aller chercher un mannequin au fond de l'eau pour l'épreuve du bac, et là, la même panique qu'en CP est revenue m'envahir. Je ne pouvais pas. C'était tout simplement impossible qu'ils me demandent une chose pareille. Je me suis tétanisée sur le bord du bassin, redevenant la petite fille au maillot à rayures roses et noires et au bonnet de bain vert pomme.

A mon grand soulagement, ils ont finalement laissé tomber le mannequin et nous ont demandé d'aller chercher un camarade de classe au milieu du grand bain et de le ramener au bord en mode sauvetage. Je l'ai fait sans problème, mais une fois sortie de l'eau j'avais tellement hyperventilé que j'ai fait un malaise.

Une fois remise de mes émotions, j'ai vu une classe de primaire qui passait dans les douches à quelques mètres de moi. Il y avait deux institutrices dont l'une ressemblait énormément à ma maîtresse de CP-CE1. Je me suis demandée si c'était elle. J'ai demandé à l'une des petites filles comment s'appelait sa maîtresse, mais avec le bruit je n'ai pas entendu sa réponse. Je ne saurai jamais si c'était elle ou non.

Aujourd'hui encore, il m'arrive d'avoir des pensées intrusives de noyade. Je suis complètement traumatisée par l'eau. J'aimerais bien réussir à plonger, mais je ne veux pas mourir. Après cinquante ans à dire « je sais nager », ma mère a fini par reconnaître qu'elle n'a jamais su nager de sa vie. J'ai trouvé ça complètement débile qu'elle prétende le contraire pendant tant d'années. Son orgueil ne m'a pas aidée. Je pense qu'inconsciemment, elle m'a refilé son aquaphobie. Elle ne l'a pas fait exprès, évidemment. Peut-être a-t-elle eu des paroles malheureuses qui m'ont marquée au fer rouge quand j'étais petite. Ou pas. Je n'en sais rien. En tout état de cause elle n'aurait pas dû mentir, ça ne sert à rien.

Ce qui m'ennuie à présent, c'est qu'Alice est également aquaphobe. Pourtant elle n'a jamais mis les pieds dans une piscine, et B. et moi ne lui avons jamais dit que petits nous avions peur de l'eau, mais c'est ainsi : elle refuse d'y aller. Elle est terrifiée. Et je suis en colère parce que je ne sais pas pourquoi, ou plutôt j'ai peur d'être à l'origine de cette peur irrationnelle alors que je voulais exactement le contraire pour elle. Je ne voulais pas qu'elle soit comme moi. Quand les choses se déroulent exactement à l'inverse de ce qu'on voulait, ça met dans une rage folle. Une rage contre soi, contre la vie, contre le putain de schéma qui se répète inlassablement de génération en génération. Contre la fatalité.

Quand Alice était bébé, j'avais pensé à l'inscrire aux bébés nageurs. Mais à cause de mon connard de patron de merde qui nous faisait bosser le mercredi et le samedi toute la journée, je n'étais jamais disponible pour l'emmener à la piscine. Adieu les bébés nageurs. Pas de piscine gonflable non plus pour la familiariser avec l'eau, puisque nous vivons en appartement. L'année dernière je l'ai emmenée dans une pataugeoire ; au plus profond elle avait de l'eau jusqu'aux genoux ; ses brassards ne lui ont servi à rien. J'ai essayé de la faire asseoir au bord mais elle a refusé. J'ai laissé tomber car je ne voulais pas la forcer.

Les signaux d'alerte se sont déclenchés début juillet, quand la directrice de son école nous a envoyé un message comme quoi tous les élèves de primaire iraient à la piscine dès le 12 septembre prochain. Alice entre en CP à la rentrée... Elle fera donc partie de la charrette partant bientôt pour l'échafaud la piscine.

Il y avait une piscine sur notre lieu de vacances cet été. Je me suis dit que ce serait l'occasion idéale pour la préparer aux cours de natation. Malheureusement cela a été un fiasco total. B. et moi avons tout essayé : la douceur, la fermeté, la négociation... La première fois Alice a carrément fait une colère et nous a mis la honte devant les autres utilisateurs. J'ai cherché sur internet des astuces pour aider les enfants aquaphobes, mais Alice refuse d'entrer dans l'eau donc impossible de mettre le moindre conseil en pratique. J'ai cherché s'il y avait des cours contre l'aquaphobie près de notre location puis près de notre domicile ; j'ai même pensé à l'emmener une fois pour qu'elle voie l'endroit et tenter au moins de la faire entrer dans le bassin ludique. Puis j'ai fini par capituler. J'ai déjà dépensé beaucoup trop d'énergie pour une cause perdue d'avance, et le délai est trop court de toute façon (le 12 septembre c'est quasi demain). Par ailleurs, je n'ai clairement pas les compétences pour apprendre à Alice à être à l'aise dans l'eau. En soi je m'en fous qu'elle ne sache pas nager ; il y a des gens qui sont à l'aise dans l'eau, d'autres dans les airs ; c'est comme ça et il faut de tout pour faire un monde et blablabla. Ça ok, je suis d'accord. Le problème, c'est l'école. Je ne veux pas qu'elle se retrouve comme moi, terrorisée à vomir au bord du bassin sans que personne ne lui vienne en aide. Je ne veux pas qu'elle ait la boule au ventre chaque lundi matin. Je ne veux pas qu'elle ait peur de mourir à 6 ans et demi. Je ne veux pas que tous les autres sachent nager sauf elle. Je ne veux pas qu'elle soit la cible de moqueries. C'est pour cela que j'ai essayé... et que j'ai malheureusement échoué.

Pour parachever ce tableau de merde, le mois dernier une petite fille de 4 ans s'est noyée dans une piscine à une centaine de kilomètres de chez moi. Elle portait des brassards... Ses parents l'avaient confiée à un centre de loisirs, et ils l'ont récupérée entre quatre planches. Alors je sais que c'est rarissime, je sais qu'on ignore pour l'instant ce qu'il s'est passé, mais preuve en est que ça peut arriver. Moi je ne suis peut-être pas morte en 1992, mais une petite fille est morte en 2022. C'est un fait.

Ce matin j'ai décidé d'emmener Alice devant la piscine où j'allais avec l'école. Je lui ai montré la porte latérale par laquelle je passais avec ma classe. Je lui ai montré la vitrine du restaurant qui existait déjà à l'époque (par contre ils ont enlevé la sirène blonde qui portait un plateau, ce que je trouve fort dommage). Je lui ai montré le grand bassin avec ses lignes de séparation rouges et blanches. Je lui ai montré les immenses vestiaires sur le côté qui m'impressionnaient tellement. Je lui ai décrit l'affiche avec le poisson « il faut réfléchir avant d'agir » qui était placardée quelque part dans ce vaste dédale de carrelage imbibé de chlore. Je lui ai tout expliqué. Je lui ai dit que j'avais peur à l'époque, probablement parce que ma mère m'avait transmis sa propre phobie, et qu'aujourd'hui je lui avais transmis ma phobie à mon tour. Que j'étais désolée car je ne voulais pas qu'elle hérite de ce fardeau. Que j'étais sûre qu'elle était capable de surmonter ça. Que si une fois à la piscine elle avait peur, elle devait impérativement le dire à quelqu'un. Que cela allait bien se passer. J'ignore si j'ai bien fait de lui partager tout cela, mais de toute façon vu le rejet complet qu'elle fait déjà, je me suis dit que ça ne pouvait pas être pire.

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Elle m'a répondu : « Si papa et toi vous m'avez transmis votre peur, je vous pardonne ».

Ce soir j'en pleure en écrivant ce post tellement j'ai la trouille. Bien sûr je vais écrire un mot à sa maîtresse pour la prévenir qu'Alice est aquaphobe, mais qui me dit que la piscine en aura quelque chose à foutre ? Ils n'en avaient rien à branler il y a trente ans, est ce que les choses ont vraiment changé aujourd'hui ?

Voilà désolée si cet article est (une nouvelle fois) décousu et très mal écrit mais je l'ai rédigé comme les mots me venaient, c'est à dire en vrac depuis mon cerveau d'ex-petite fille aquaphobe qui est furieuse (mais contre qui ??) que sa fille soit aquaphobe elle aussi.

PS : à la fin des vacances, alors que cette histoire de piscine me bouffait le cerveau, une ancienne collègue de boulot a posté une story instagram de ses deux aînés en train de marcher sur les mains, de faire des saltos sur la plage et de plonger en arrière dans la piscine. C'est complètement con mais pendant 5 minutes je l'ai haïe et j'ai haï ses enfants de me remuer ainsi le couteau dans la plaie avec leurs corps dégourdis que ma famille et moi n'aurons jamais (oui j'en suis là... allez-y jugez-moi).

PS 2 : cet après-midi j'ai ENFIN pris rendez-vous avec une thérapeute qui fait de l'EDMR. Il est évident que ma peur de la mort est liée à un SPT et loin de se calmer, mon anxiété ne cesse de s'aggraver en vieillissant. Si je la laisse me bouffer, je vais finir par me foutre en l'air. Il est donc grand temps de faire quelque chose, même si aller chercher la cause profonde de mon SPT me terrorise. La séance n'aura lieu que début octobre donc je vous fais bientôt un article sur le sujet.

PS 3 : à une rue de la piscine se trouve le dojo de Rennes où j'allais faire du judo, et là par contre je m'éclatais. C'est incroyable comme ces deux lieux, si proches géographiquement, me procurent des sentiments aussi différents...

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