J'avais déjà entendu parler de ce livre à l'époque de sa sortie, mais je ne me sentais alors pas du tout autiste. J'avais tout juste trouvé un point commun avec l'auteur : il parlait du chiffre 1 comme étant blanc ; j'avais déclaré à ma mère "Pour moi, le chiffre 1 est jaune". Elle m'avait regardée comme si j'étais timbrée et j'en étais restée là.
Puis le temps a passé et j'ai commencé à me rendre compte que j'avais peut-être un TSA (j'en parle depuis un petit moment ici donc je ne vais pas revenir sur mes posts précédents). J'ai essayé d'analyser de plus près ma synesthésie. J'ai toujours vécu avec, mais j'ai pris conscience de son "anormalité". Non, tout le monde ne visualise pas un objet en prononçant un mot.
Il y a quelques jours, j'étais chez Cultura avec ma mère (à qui j'ai exposé les grandes lignes de ma synesthésie), et voilà que, armée de sa discrétion légendaire, elle interpelle une vendeuse à travers tout le magasin : EXCUSEZ-MOI MADAME AURIEZ-VOUS DES LIVRES TRAITANT DES GENS QUI ASSOCIENT DES MOTS AVEC DES GOÛTS S'IL VOUS PLAÎT ? BAH QUOI IL FAUT DEMANDER VOYONS DAWN GIRL !!!
(oui on parle fort dans la famille)
(j'étais très gênée)
La vendeuse ignorait totalement ce qu'était la synes-truc-chouette mais elle m'a donné le livre de Daniel Tammet. Je l'ai remerciée, la voix étouffée par mon écharpe dans laquelle j'avais enfoui ma figure putain maman je te connais pas.
De prime abord, le livre ne m'a pas captivée. En effet, Daniel Tammet a une particularité que je n'ai pas : le syndrome savant, comme le héros de Rain Man : il fait des calculs très compliqués de tête et connaît plusieurs milliers de décimales du nombre Pi (il a d'ailleurs fait une récitation publique de plus de 22 000 décimales). Du coup le premier chapitre parle énormément de sa vision des chiffres, des paysages numériques qu'il imagine et j'ai eu du mal à m'accrocher. Mais une fois ce cap passé, je n'ai plus lâché le livre, et pour la première fois de ma vie j'ai mis des post-it et pris des notes en prévision de l'article que j'allais écrire, tellement je me disais : "Putain, c'est trop moi, ça !"
Hormis le côté "savant matheux", je me reconnais beaucoup dans le livre. Tout d'abord, Tammet est passionné par les nombres premiers. Moi je ne suis pas passionnée, mais j'arrive à les repérer (bon je parle de ceux à 2 chiffres pas plus ^^). Pour moi ils sont différents des autres, et donc intéressants. Il voit certains chiffres grands, d'autres petits ; il leur attribue un caractère. Pour moi, le 7 a goût de carambar citron, il est donc blanc. Je n'aime pas le chiffre 5 ; ni sa prononciation ; le son me dégoûte ainsi que la façon de l'écrire "CINQ" beurk. Il pue, comme son aîné, le soixante.
Comme moi, Tammet a eu sa crise de collectionnite. Il ramassait les marrons, moi les paquets de cigarettes. Il a "collectionné" des dizaines de coccinelles qu'il a enfermées dans une boîte ; moi c'était dans un verre à moutarde. Il évoque également les associations d'idées qui lui viennent spontanément pendant qu'il parle ; moi c'est pareil ; au milieu d'une conversation je vais sortir quelque chose qui n'a rien à voir, et je sais que cela peut dérouter mon interlocuteur. J'ai beaucoup de mal à rassembler mes idées pour faire une phrase structurée allant à l'essentiel, sauf si je me concentre. Et au bout d'un moment c'est fatigant de se concentrer. C'est sans doute pour ça que je parle très vite. Il parle tout seul, a du mal à saisir les sous-entendus... Bref je ne vais pas faire le catalogue de tous mes points communs avec lui, mais cela me conforte dans l'idée que j'appartiens bien à la famille des autistes. Et ce n'est pas grave en fait.
Là où je suis un peu jalouse de lui, c'est qu'il a l'air de ne jamais avoir souffert de sa différence : il s'est fait emmerder à l'école, mais les autres l'ont vite lâché devant son absence de réaction, et il n'a pas subi de harcèlement scolaire. D'autre part, il a vécu dans un environnement familial et scolaire où les adultes ont accueilli sa différence et se sont adaptés ; là où moi j'ai eu autant de profs formidables que de gros cons (enfin connes surtout), qui au lieu de chercher à creuser un peu, ont préféré dire que j'étais un "bloc d'hostilité quasi-permanent", et où dans la cellule intra-familiale j'ai eu droit à des "qu'est ce que t'es empotée, t'as de la merde dans les mains ?" ou encore "arrête de faire le singe".
Son voyage en Lituanie a été une formidable expérience aussi ; il a été accepté comme il était. Une fois rentré chez lui, il a réussi à utiliser ses compétences hors normes pour créer un site internet, travailler de chez lui et gagner sa vie ainsi. Putain, c'est mon rêve :) Mais je n'ai pas son immense talent pour les chiffres et l'apprentissage des langues.
Enfin, il a des amis ; moi non. J'ai donc encore du taff pour faire de mon TSA quelque chose de positif ; mais n'étant qu'au début du parcours c'est normal que ça prenne beaucoup de temps. J'ai rendez-vous chez la psychologue le 21 mars et je dois m'occuper de l'ergothérapeute aussi. Toujours rien du côté du psychiatre donc je me tâte pour envoyer mon dossier au CRA de Brest ; de toute façon je ne suis plus à 5 ans près...
Chose très importante ; j'ai pris conscience que, contrairement à ce que je croyais, j'associe bien les jours de la semaine avec une couleur. Quand je pense à jeudi par exemple, ça m'évoque du rose. Mardi, du vert. Samedi, du rouge. Etc. Et je sais pourquoi : à cause du programme télé que ma mère achetait quand j'étais petite : chaque jour avait sa couleur pour les repérer plus facilement. Ca m'est resté. De même que je crois me rappeler que je comptais les choses quand j'étais petite (voitures, fissures sur un mur...) mais je ne le fais plus depuis très longtemps. Par contre, compter les syllabes ça a duré des années et des années...
En conclusion, j'ai trouvé ce livre vraiment très intéressant ; un coup de coeur :)