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Le blog de Dawn Girl
19 février 2018

Le secret de Laurence

Il y a quelques jours, j'ai entendu parler par hasard d'un "jeu" intitulé "Le secret de Laurence". Un site interactif où on peut entrer dans un appartement, fouiller et photographier des indices pour essayer de découvrir quel est le secret de Laurence. Plus de 7000 personnes ont joué ; seules trois (voire aucune selon d'autres sources) ont trouvé que Laurence était alcoolique.

Je suis allée voir l'appartement en question et je dois avouer que ça m'a bouleversée ; vous vous doutez pourquoi. J'ai trouvé des similitudes avec l'état dans lequel était l'appartement de ma mère il y a un peu plus d'un an : nourriture périmée dans le frigo, taches par terre, chewings gum à la menthe, magazines non déballés, brosse à dents ensanglantée... Le logement de Laurence était cependant relativement rangé et propre comparé à celui de ma mère, pour qui j'aurais pu ajouter : boîte aux lettres pleine à craquer, très forte odeur d'urine, légumes pourris dans leur sac plastique, vaisselle moisie dans l'évier, toilettes sales, litière des chats tellement dégueulasse qu'on ne voit plus les graviers, sol de la chambre jonché de courriers pas ouverts / jetés dans un coin / pleins d'urine séchée, énorme tache d'excréments séchés sous le lit, matelas sans drap housse... et j'en oublie. Il faut dire que Laurence, si elle était bien alcoolique, n'évoluait pas dans le même contexte social que ma mère.

 

Car Laurence existe en chair et en os, et l'appartement du jeu n'est autre que le logement qu'elle occupait lors de sa maladie. Laurence, c'est Laurence Cottet, une ancienne cadre de chez Vinci, qui souffrait d'un alcoolisme "mondain" et qui un jour, s'est écroulée devant 650 personnes lors d'une cérémonie professionnelle. Elle a été licenciée suite à cet incident, s'est fait prendre en charge et est  abstinente depuis 2009.

Ma mère est abstinente depuis début 2017 mais elle restera toujours fragile. ON restera toujours fragile. Je l'ai portée comme un fardeau pendant plus de vingt ans et la plaie est toujours à vif. Dès qu'elle ne répond pas au téléphone, je m'inquiète. Dès qu'elle a la voix un peu pâteuse, je m'inquiète. Dès que j'en parle, j'ai les larmes aux yeux. C'est pour ça que j'appréhende tellement ma visite chez l'hypnothérapeute, et plus tard (j'espère) chez la psychologue. J'en ai marre de pleurer pour ça. J'ai versé des hectolitres de larmes à cause de ma mère, et encore aujourd'hui, alors qu'elle n'est plus en danger de mort immédiat, je continue encore de pleurer. J'ai l'impression que la source ne se tarira jamais.

 

Bref, pour en revenir au jeu, je trouve cette idée de visite virtuelle d'appartement géniale. J'aurais voulu l'avoir. Je pense que seuls ceux qui ont eu un proche alcoolique peuvent mesurer l'extrême tristesse et la solitude infinie que cet appartement représente. Est ce que j'aurais trouvé le secret de Laurence si j'avais joué avant que la clé de l'énigme soit dévoilée ? Je ne sais pas, peut-être... Quand on sait, c'est facile.

 

L'alcoolisme est tabou, mais l'alcoolisme féminin c'est encore pire. Une femme, ça doit être sexy et distingué. Une femme, au pire ça sirote une coupe de champagne. Mais une femme alcoolique, c'est sale, moche, dépravé, honteux. Une femme alcoolique, ça doit se cacher. Ca doit masquer les dégâts avec beaucoup de blush, du fond de teint et des Frisk qui arrachent la gueule.

Sauf que quand c'est ta femme ou ta mère qui titube, tu ne peux pas te cacher les yeux. Et l'alcoolisme féminin, il FAUT en parler. Elles sont combien, à crever d'arrêts cardiaques ou de varices oesophagiennes au fond de leur appartement transformé en décharge publique ? Combien de conjoints ou d'enfants pleurent parce que l'une d'elles picole ? Combien se retrouvent dans une relation de co-dépendance, à devenir le parent de leur mère et à perdre à jamais leur place d'enfant ? Des milliers apparemment. Je suis loin d'être toute seule, même si je l'ai cru pendant des années. Ma mère a été sauvée grâce à sa volonté of course, mais aussi grâce à la ténacité d'un médecin qui a défendu son dossier et s'est battue pour qu'elle bénéficie d'une greffe. Ca fait un moment que je souhaite envoyer un mot de remerciement à ce médecin d'ailleurs, pour tout ce qu'elle a fait. Mais je n'ose pas. Si je le fais, je ne veux pas que ma mère le sache ; or ma mère est toujours suivie par ce médecin.

 

Pour ceux que ça intéresse, voici le lien vers "Le secret de Laurence".

 

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Commentaires
A
C'est leur boulot de se blinder :) Les bons psys sont empathiques sans pour autant porter les malheurs du monde sur leurs épaules. Un bon psy ne juge pas son patient : si le patient pleure c'est qu'il a ses raisons, qui sont toutes justifiées. Quand j'étais plus jeune j'allais voir une psy très souvent. La première fois que j'ai pleuré je lui ai présenté mes excuses en lui disant que j'avais honte. Elle m'a dit que je pouvais faire ce que je voulais chez elle, que son cabinet était "mon refuge" si j'en avais envie. J'ai rarement pleuré chez elle par la suite, mais le fait qu'elle me dise ça m'avait rassurée. Je l'appréciais beaucoup (je pense à titre personnel qu'il faut "bien aimer" son psy pour lui faire entièrement confiance et pouvoir dire tout et n'importe quoi, mais cet avis n'engage que moi !). Elle m'a dit un jour qu'elle m'appréciait aussi et que j'étais une chouette jeune fille à ses yeux, puis elle a terminé par une phrase qui m'a beaucoup marquée : "on a les patients qu'on mérite, s'ils vont correctement bien et/ou qu'ils ont de l'espoir ou de la motivation pour aller mieux, tant mieux, s'ils vont tous terriblement mal, c'est qu'il faut se poser des questions sur notre boulot car nos patients nous ressemblent." Je ne sais pas si c'est un avis qui lui est propre (je pense) ou si tous les psys pensent ça (ça m'étonnerait). Pour la carte, tu peux toujours écrire sur une feuille A4 blanche toute simple si tu sais pas quoi prendre.
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Z
Je pense que si tu as besoin de pleurer, tu ne dois pas te retenir... c'est encore très récent son abstinence et il faudra du temps avant de pouvoir penser à cela avec plus de sérénité. <br /> <br /> J'ai vu Laurence Cottet en interview il y a peu et son récit est vraiment bouleversant... <br /> <br /> Je pense que beaucoup de gens s'en doutait mais que personne n'a osé lui en parler. C'est triste. Je pars toujours du principe qu'il vaut mieux quelque chose à quelqu'un même si c'est dur ou si ça rend triste, plutôt que de regarder sans rien faire.
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A
Tu n'as pas à t'en vouloir car tu as envie de pleurer. N'importe qui en pleurerait, c'est autant triste que violent comme situation. J'ai eu vraiment de la peine en lisant ton article alors que je suis complètement extérieure à la situation, donc bien sûr que quelqu'un vivant de près ou de loin avec une personne alcoolique en pleurerait. Et ce sera normal de pleurer devant ton hypnothérapeute et ton psy. J'ai envie de te dire : c'est leur métier de voir les gens pleurer. Et n'importe quelle réaction de ta part est saine et fondée : ce qui serait anormal serait de n'avoir aucune réaction, d'être un poisson mort. Tu procéderas étape par étape. On va pas te demander d'arrêter de pleurer du jour au lendemain, c'est impossible. Petit à petit tu vas "gérer" tes émotions avec ton psy etc. Un jour tu penseras à l'alcoolisme de ta mère en ayant "juste" de la peine, sans que tu t'effondres. Et tu seras super fière de toi et de ton courage, mais ça prendra du temps. Et ce n'est pas une course : s'il te faut X années, tu t'en fous, tu n'as de compte à rendre à personne. Et peut-être même qu'un autre jour (mais dans longtemps !) tu penseras à l'alcoolisme de ta mère sans peine, juste "ok, c'était comme ça, mais au final on s'est démerdé et on a géré". Si tu as envie d'écrire une carte de remerciements au médecin de ta mère, fais-le. A priori il ne doit pas être trop con et doit comprendre qu'il ne faut pas parler de la lettre. Si tu as peur tu peux lui dire dans ta lettre de ne pas parler de ce courrier à ta mère. J'avais écrit au service où ma tante était suivie, pour les remercier (elle était morte depuis 1 semaine ou 2). Je me souviens avoir pleuré toutes les larmes de mon corps en leur écrivant, mais ça m'avait soulagée. J'ai jamais eu de réponse et je n'en attendais pas, mais je me plais à imaginer que mes remerciements leur ont fait plaisir.
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